Le Centre de musique romantique française frappe encore un grand coup en
nous rendant, si l’on peut dire, l’un des ouvrages lyriques les plus
célèbres au XIXe siècle, Robert le Diable : créé en
1831, le tout premier opéra en français de Meyerbeer est passé de mode
au siècle suivant, en même temps que son auteur, pourtant admiré de tous
ses contemporains, Wagner compris (du moins lorsqu’il avait besoin de
lui, en début de carrière). Pour autant, la découverte de l’ouvrage en
concert, comme à Bordeaux l’an passé,
avec toute l’équipe du présent disque, donne une idée du potentiel
dramatique de ce grand opéra, d’une richesse d’inspiration inépuisable
pour qui veut bien lui donner sa chance. On reste en effet bluffé tout
du long par la capacité de Meyerbeer à surprendre, autant par la variété
des climats entrecroisés que la subtilité de son orchestration
superbement ciselée, à chaque fois au plus près des intentions
dramatiques. L’instinct musical fluide et naturel de Meyerbeer dans les
scènes intimistes fait souvent penser à Verdi, qui puisa certainement
dans ce chef‑d’œuvre une inspiration décisive, audible dans La Traviata (1853) notamment.
Une autre explication de la quasi‑disparition de cet ouvrage des scènes lyriques de nos jours (hormis par exemple à Londres en 2012 ou à Bruxelles en 2019)
est la difficulté à réunir un plateau vocal à la hauteur, qui, outre le
brio vocal redoutable requis, doit maîtriser parfaitement la langue
française pour rendre justice à la déclamation, essentielle ici. Ce
disque relève le pari haut la main grâce aux bons soins des équipes du
Palazzetto Bru Zane, soutien toujours aussi décisif pour les
non‑francophones (trois parmi les quatre chanteurs principaux).
Ainsi de John Osborn (Robert), qui prouve une nouvelle fois son affinité avec le répertoire français (voir encore récemment son interprétation éloquente dans La Juive,
à Genève), à force d’aisance et d’éclat sur une large tessiture, sans
jamais oublier le sens du texte. A ses côtés, Erin Morley (Isabelle)
fait valoir un velouté d’émission et des aigus rayonnants avec une
facilité déconcertante, d’une tendresse étreignante, qu’il faut
absolument entendre dans la cavatine déchirante « Grâce pour toi »
au IV, l’un des sommets de l’ouvrage. On aime aussi grandement
l’étourdissante Amina Edris (Alice), très à l’aise dans la virtuosité,
même si la prononciation reste à améliorer dans les passages rapides.
C’est là le grand point fort de Nicolas Courjal (Bertram), et ce malgré
un vibrato prononcé dans les parties plus enlevées. Le chanteur français
démontre toute ses qualités superlatives de diseur, qui lui ont déjà
valu des louanges méritées en des rôles similaires (notamment celui de
Méphistophélès dans La Damnation de Faust).
Aux côtés de seconds rôles tous très investis, le Chœur de l’Opéra
national de Bordeaux fait valoir des qualités de précision surtout
audibles côté féminin. Mais c’est surtout la prestation de Marc
Minkowski, à la tête d’un excellent Orchestre national Bordeaux
Aquitaine, qui rend cette publication indispensable, à force d’énergie
communicative, d’ivresse rythmique et d’attention aux nuances. De grands
disques, qui portent haut le génie de Meyerbeer.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
lundi 3 octobre 2022
« Robert le Diable » de Giacomo Meyerbeer - Marc Minkowski - Disque Palazzetto Bru Zane
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