mercredi 19 octobre 2022

« Salomé » de Richard Strauss - Lydia Steier - Opéra Bastille à Paris - 18/10/2022

Après les reprises début septembre de Tosca et de La Flûte enchantée, rien de tel qu’une nouvelle production au parfum de scandale pour lancer véritablement la saison de l’Opéra de Paris ! C’est ainsi que la grande maison s’est fendue d’un rarissime communiqué d’avertissement sur le « caractère violent et/ou sexuellement explicite » de certaines scènes - un communiqué envoyé à l’ensemble des personnes qui avaient réservé le spectacle, et ce dès le lendemain de la générale. Pourquoi pas, après tout, en un temps où télévision et autre plateforme de vidéos à la demande ont adopté depuis longtemps un système de signalétique préventive. On connait par ailleurs les effets pervers de ce type d’avertissement, qui loin de décourager certains publics, peuvent au contraire les attirer à constater par eux-mêmes «l’outrage aux bonnes moeurs».

Pour ses débuts à l’Opéra de Paris, l’Américaine Lydia Steier frappe fort en transposant l’action en un futur indéterminé, d’une violence et d’une cruauté identifiables dès les premières scènes de viol et de meurtre collectifs. A rebours du livret qui installe peu à peu un climat étouffant, l’ancienne assistante de Calixto Bieto choisit de nous plonger d’emblée dans l’horreur d’une élite décadente qui ne sait plus comment se distraire, sauf à perdre toute notion d’humanité. Face à cette barbarie, oser exprimer un sentiment, tel qu’aimer le prophète Jochanaan, n’en parait que plus incongru, à mille lieux de la folie autour de soi. Dans un tel contexte, on ne sera pas surpris que le prix à payer pour obtenir Jochanaan dépasse de loin la vénéneuse danse des sept voiles, pour se transformer en un viol consenti et particulièrement éprouvant. C’est dans la dernière scène que la vision d’horreur de Lydia Steier prend une signification nouvelle, éclairant le parcours initiatique de l’héroïne : en acceptant d’être une victime de son beau-père, Salomé n’est plus la fille de Babylone et de Sodome onie par Joachanaan en début d’ouvrage. Dès lors, l’action dédoublée prend tout son sens, avec d’un côté la Salomé originelle berçant la tête de Jochanaan, et de l’autre la Salomé transfigurée accompagnant le martyre de son promis dans la prison en hauteur.

Outre les qualités narratives, mais parfois trop répétitives de cette mise en scène, on pourra louer l’utilisation du volume de la scène et l’exploration du décor dans toutes ses facettes, qui permettent de voir une multiplicité de saynètes en même temps que l’action principale (même si les spectateurs du deuxième balcon sont malheureusement privés de la vision d’une partie des parties fines en hauteur). Le travail sur les costumes impressionne tout autant par sa variété imaginative, donnant beaucoup de crédibilité à cette transposition audacieuse. Il est toutefois regrettable que face à cette proposition souvent trash, la direction de Simone Young s’en tienne à une exploration doucereuse de la partition, en lissant par trop souvent les angles. On aurait aimé davantage de souffle dramatique pour nous emporter complètement, de même qu’une articulation plus prononcée pour faire ressortir les passages plus morbides. 

Grande triomphatrice de la soirée, Elza van den Heever (Salomé) remporte un accueil chaleureux du public, sans doute séduit par son investissement dramatique éloquent en dernière partie, lorsque la voix est en pleine puissance. On est plus réservé en revanche dans les passages plus apaisés, où la voix manque de projection dans les piani et le medium. On préfère de loin l’homogénéité sur toute la tessiture de John Daszak (Hérode), à l’émission souple et claire, sans parler de sa force de persuasion dramatique percutante à chaque apparition. Plus discret, Iain Paterson fait valoir un Jochanaan tout de noblesse de phrasés, au timbre toutefois un peu terne et peu sonore, tandis que Karita Mattila fait valoir tout l’éclat de son tempérament en Hérodiade, à même de faire oublier une voix fatiguée par les années. La distribution des seconds rôles est luxueuse, notamment les superlatifs et très en voix Tansel Akzeybek (Narraboth) et Katharina Magiera (Le page).

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