En ce début de saison, la création toulousaine de Rusalka (1901)
fait figure d’événement, tant le chef‑d’œuvre lyrique de Dvorák s’impose
désormais comme l’un des piliers du répertoire de toutes les grandes
maisons d’opéra à travers le monde. On comprend pourquoi, tant la
finesse et les différents niveaux de lecture du livret, adapté du conte
la Petite sirène d’Andersen, permettent d’explorer la richesse du mythe
dans toutes ses facettes, faisant le terreau de nombreuses
transpositions audacieuses (voir notamment les lectures psychanalytiques
de Stefan Herheim en 2014 ou Nicola Raab en 2019).
Acclamé à Toulouse en 2019 avec Ariane et Barbe‑Bleue
de Dukas, Stefano Poda peine cette fois à cacher son manque
d’inspiration par son brio visuel, dans une réalisation certes
somptueuse, mais aux partis pris trop répétitifs sur la durée. Le
metteur en scène italien choisit d’aller plus loin encore que Robert
Carsen à Paris (voir la dernière reprise de son spectacle en 2019)
en plongeant littéralement tous ses personnages, humains exceptés, dans
un immense bassin : autour des chanteurs principaux, une multitude de
naïades compose un ballet larvaire d’une lenteur hypnotique, mais qui
tourne rapidement à vide à force de figures répétées, sans parler du
bruit occasionné, très gênant pour suivre la musique. Outre un message
écologique un peu trop appuyé, avec ces bouteilles en plastique qui
envahissent le bassin au début du II, Poda a l’idée d’entourer le Prince
et la Princesse étrangère de doubles énigmatiques, tous grimés comme
eux. Le narcissisme de ces personnages est‑il ainsi moqué ? A moins que
Poda ne suggère des visions cauchemardesques de Rusalka ? Aucune piste
d’explication ne vient malheureusement étayer davantage cette
proposition, pourtant intéressante.
Face à cette mise en scène mitigée, la principale déception de la soirée
vient de la direction trop raide de Frank Beermann, incapable de
différencier les nombreux changements d’atmosphère de Dvorák, au I
surtout, entre évocation de la nature et irruption du merveilleux.
Pourtant si convaincant dans la musique germanique (voir ses dernières
prestations toulousaines dans Bruckner, Strauss ou Wagner),
l’ancien directeur musical de l’Opéra de Chemnitz se concentre
davantage sur la noirceur du drame, ralentissant volontairement le tempo
au service d’une lecture analytique, très appuyée dans son assise de
graves.
Le plateau vocal réuni ne convainc pas davantage, ce qui est inhabituel à
Toulouse, où Christophe Ghristi a habituellement un goût très sûr. On
est ainsi surpris du choix de la sonore Anita Hartig, incapable de
traduire la fragilité de Rusalka au I, tant ses brusques changements de
registre la handicapent pour phraser et poser sa voix avec harmonie. Si
la voix en pleine puissance impressionne par son impact vocal, on a là
une Rusalka bien peu subtile, qui aurait trouvé davantage à s’épanouir
dans des rôles de caractère, tel que celui de Jezibaba. C’est
précisément dans ce rôle que le chant trop sage de Claire Barnett‑Jones
manque de mordant et de couleur, peinant aussi à passer la rampe. Si
Béatrice Uria‑Monzon donne à sa Princesse étrangère une incarnation plus
vibrante, c’est au prix d’un vibrato très prononcé. On lui préfère de
loin le chant souverain d’Aleksei Isaev (L’Ondin), d’une noblesse d’âme
aussi sincère que bouleversante. On aime aussi les phrasés habités de
Piotr Buszewski (Le Prince), au timbre pénétrant, à qui il ne manque
qu’un soupçon de puissance pour pleinement nous emporter. Tous les
seconds rôles, au premier rang desquelles les superlatives Nymphes,
donnent beaucoup de satisfaction tout du long, de même que le Chœur et
la Maîtrise du Théâtre du Capitole, désormais dirigés par Gabriel
Bourgoin.
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