Voilà déjà 8 ans que Barrie Kosky et Emmanuelle Haïm ont fait les délices du public lillois, avec Castor et Pollux de Rameau, autour d’une production venue de l’English National Opera de Londres / ENO. Cette fois, c’est du Komisch Oper de Berlin, où le metteur en scène australien a officié entre 2012 et 2022, que nous vient cette production très réussie de Sémélé (1744) de Georg Friedrich Haendel.
De quoi retrouver le goût de Barrie Kosky pour une scénographie unique et épurée, qui choisit d’enfermer ses protagonistes dans un appartement classieux aux boiseries calcinées, magnifiquement revisité par les éclairages et les fumigènes tout au long de l’action. D’emblée, Kosky rappelle le mythe de Sémélé et sa vanité punie par la foudre divine, en un bref résumé diffusé sur le rideau de scène : le tas de cendre d’où émerge Sémélé au début puis à la fin de l’ouvrage, préfigure le principal parti-pris de cette mise en scène qui voit l’héroïne revivre son traumatisme, comme une histoire qu’elle serait condamnée à éprouver ainsi éternellement.
A partir de ce cauchemar éveillé, Kosky convoque son sens de la flamboyance, avec quelques outrances savamment dosées dans la direction d’acteur dynamique et enlevée, y compris pour le choeur, mais aussi de nombreuses surprises venues du décor, très bien exploité. Sans parler de la présence renforcée du merveilleux (la foudre ou les pouvoirs des Dieux) qui vient rythmer le spectacle à plusieurs reprises.
On est moins enthousiaste en revanche concernant la direction musclée d’Emmanuelle Haïm, notamment lors des parties rythmiques surarticulées et souvent trop raides, qui accentue l’impression d’orchestration en noir et blanc d’Haendel dans cet ouvrage, aux bois peu sollicités. On préfère nettement sa battue dans les passages plus apaisés, où la Française fait preuve de davantage de nuances, osant enfin lâcher la bride pour offrir les quelques libertés de phrasés tant attendues.
Fort heureusement, le plateau vocal réuni se montre proche de l’idéal, à quelques réserves près. Ainsi de la prestation gourmande d’aisance d’Elsa Benoit (Sémélé), dont le rôle semble avoir été écrit pour elle, et qui vaut à la soprano un triomphe mérité en fin de représentation : aigu rayonnant et vocalises agiles donnent une perfection technique superlative à la Française, qui peut ainsi se concentrer sur son interprétation, très engagée. On aime aussi la Junon d’Ezgi Kutlu, d’une belle rondeur d’émission, de même que l’Ino délicieuse de finesse de Victoire Bunel.
C’est peut-être plus encore Stuart Jackson (Jupiter) qui surprend par son impact physique brut, très impressionnant au début, avant de faire valoir toute sa sensibilité dans les piani ensuite, et ce malgré une perte de substance dans l’aigu, par endroits. Autre grande satisfaction de la soirée avec la prestation superlative de Paul-Antoine Bénos-Djian (Athamas), déjà très en verve en début d’année dans le rôle-titre de Rinaldo à Rennes. On ne peut que rendre les armes devant un timbre qui irradie sans effort apparent, au service d’une noblesse de phrasés toujours très à propos. Seul Evan Hughes (Somnus) déçoit quelque peu avec une diction engorgée, tandis que le choeur du Concert d’Astrée ravit une nouvelle fois par son investissement dramatique, par ailleurs bien exploité par une judicieuse spatialisation sonore – le choeur étant réparti en plusieurs endroits de la salle à la fin du spectacle.
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