Initiée en 2013 avec Dialogues des Carmélites, avant La Voix humaine (couplée à Point d’orgue de Thierry Escaich) en 2020, l’exploration des opéras de Francis Poulenc se poursuit au Théâtre des Champs-Elysées (TCE), avec la complicité d’Olivier Py. Couplé cette fois avec Le Rossignol (1914) de Stravinsky, l’opéra bouffe Les Mamelles de Tirésias (1947) est l’une des pochades les plus délirantes de Poulenc, mêlant absurde et surréalisme dans la lignée du drame original écrit par Guillaume Apollinaire en 1917. Redoutable à mettre en place, tant il demande une équipe aguerrie à l’abattage et à la gouaille du parlé-chanté propre au répertoire de l’opérette, l'ouvrage représente toujours une gageure pour ses défenseurs.
Le pari n’est ici qu’imparfaitement réussi, du fait d’une distribution plus à l’aise au niveau vocal que dans les réparties théâtrales, qui nécessitent une diction irréprochable pour faire mouche à chaque réplique, y compris dans les périlleuses accélérations. Le Rossignol, composé au tout début de la carrière de Stravinsky, laisse davantage de place à l’expressivité du chant, ce qui permet à Sabine Devieilhe de nous délecter de ses phrasés veloutés et irrésistibles de souplesse aérienne. Moins à son avantage dans le Poulenc, elle emporte toutefois l’essentiel par une présence physique d’un bel aplomb. A ses côtés, Jean-Sébastien Bou impressionne toujours autant par le naturel de son émission, homogène sur toute la tessiture et parfaitement projetée. On regrette toutefois un timbre qui manque de couleurs pour pleinement embrasser les ambiguïtés de ses différents personnages. Cyrille Dubois n’est pas vraiment à sa place ici, du fait d’un débit très délié qui manque de mordant. Il se rattrape heureusement par ses phrasés raffinés, qui font mouche dans les parties plus lyriques. Laurent Naouri, impeccable tout du long, apporte à ses différents personnages une classe vocale éloquente, de même que la plupart des seconds rôles, bien distribués, dont se détache le désopilant Rodolphe Briand.
La plus grande satisfaction de la soirée revient à la prestation superlative de l’ensemble vocal Aedes, qui ravit par son engagement et sa chaleur à chaque intervention, bien aidé par le décor en demi-cercle (qui facilite la projection) ou par le placement parmi le public. Déception en revanche concernant la direction de François-Xavier Roth, qui délaisse brio narratif et rebond rythmique pour privilégier une lecture allégée et subtile, mais trop évanescente pour convaincre sur la durée.
On n’est malheureusement guère plus enthousiaste face à la mise en scène haute en couleurs d’Olivier Py, qui semble, une fois n’est pas coutume, n’avoir pas grand chose à dire ici. Ce sont une fois encore la scénographie et les costumes de Pierre-André Weitz qui parviennent à distraire par leur éclat, jouant des artifices du théâtre dans le théâtre, tout en incorporant plusieurs visions symboliques, en première partie surtout. Dans cet optique, les références exotiques de l’action sont évacuées pour insister sur l’opposition entre les deux décors, l’un sinistre et l’autre gorgé de couleurs, aux néons farfelus et extravertis. On en prend plein les yeux mais on a du mal à se sentir concerné par cette pochade joyeusement déjantée, finalement un peu creuse.
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