samedi 18 mars 2023

« Coups de roulis » d'André Messager - Sol Espeche - Théâtre de l'Athénée à Paris - 15/03/2023

Il faut courir voir ce spectacle donné au Théâtre de l’Athénée jusqu’à dimanche, accueilli par une ovation du public amplement méritée en fin de représentation ! Quel bonheur d’assister à une mise en scène d’une telle inventivité, qui montre combien l’opérette, à ce niveau de qualité, n’a pas à rougir de la comparaison avec le répertoire dit « plus sérieux ». L’opérette reste l’un des répertoires parmi les plus exigeants pour la double qualité de brio vocal et d’interprétation théâtrale (notamment dans les passages parlés) demandée à ses interprètes. La sonorisation ostensible des musiciens et chanteurs, regrettable pour une jauge aussi réduite de 570 places, s’oublie au fur et à mesure que le spectacle prend vie sous nos yeux.

Et quel spectacle ! On reste éberlué par le flair de la compagnie Les Frivolités parisiennes, fondée par les musiciens Benjamin El Arbi et Mathieu Franot en 2012, qui démontre une fois encore sa capacité à s’entourer de metteurs en scène de grand talent, après Pascal Neyron en 2019 (avec Le Testament de la tante Caroline d’Albert Roussel) et 2022 (avec Là-haut de Maurice Yvain), à chaque fois à l’Athénée. En confiant sa nouvelle production à Sol Espeche, ancienne assistante de Marcial Di Fonzo Bo, la réussite est encore au rendez-vous, tant la transposition en soap opera des années 1980 fonctionne dès les premières audaces du générique projeté en grand écran, où chaque personnage est présenté en mode glamour et décalé. De quoi dépoussiérer l’intrigue du tout dernier ouvrage lyrique d’André Messager (1853-1929), d’un vent de folie toujours au service de l’élan narratif, tout en cherchant à donner une consistance dramatique au moindre second rôle. Ainsi de l’Amiral gâteux et bégayant, mais aussi de l’homme à tout faire Pinson, à l’inénarrable accent populaire québécois : une référence à la série Le Cœur a ses raisons, qui parodie les soap opera ? Que dire aussi des clins d’œil désopilants aux amours cachés de deux matelots subalternes, des rivalités délicieusement vénéneuses du chœur féminin ou de l’ignorance crasse de la courtisane Sola Myrrhis, incapable de prononcer correctement les références historiques locales, malgré ses efforts répétés ? On pourrait ainsi multiplier les exemples de cet enrichissement savoureux, aussi pertinent dans sa drôlerie qu’impressionnant d’inventivité. 

Irina De Baghy et Philippe Brocard

Au-delà de ces ajouts textuels, la présence quasi permanente de l’ensemble des protagonistes lors de nombreuses saynètes simultanées, parfois mimées en arrière-scène, étoffe constamment l’action, faisant filer d’une traite les 2h20 du spectacle (sans entracte). Il faut dire que la direction d’acteur s’appuie sur les qualités superlatives de ses interprètes en matière de théâtre, qui donne beaucoup de plaisir tout du long par la rythmique millimétrée de chaque réplique. On aime ainsi la morgue et l’aplomb de Jean-Baptiste Dumora (Puy Pradal) et peut-être plus encore la tempétueuse Irina De Baghy (Sola Myrrhis), au tempérament volcanique qui fait toujours mouche. A leurs côtés, Christophe Gay (Kermao) fait valoir son beau timbre dans les graves, mais manque quelque peu de puissance dans les duos, tandis que Clarisse Dalles (Béatrice) domine son rôle difficile par sa musicalité, malgré quelques stridences dans l’aigu et des décalages avec la fosse. 

On mentionnera enfin la prestation toujours impeccable d’Alexandra Cravero, déjà vivement applaudie tout récemment à l’Opéra-Comique (voir Le Voyage dans la lune d’Offenbach), qui montre tout son amour pour ce répertoire par un engagement de chaque instant. Son attention aux équilibres et aux nuances n’est pas pour rien dans la grande réussite de la soirée, applaudie à juste titre par un public dithyrambique.

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