Quatre ans avant West Side Story, Leonard Bernstein triomphait à Broadway avec Wonderful Town
(1953), une comédie musicale aux rythmes jazzy enivrants, faisant la
part belle aux cuivres. Ecrite en seulement un mois, la partition
impressionne d’emblée par l’éclat et la fluidité de son orchestration,
comme l’élan survitaminé des différentes scènes, qui s’enchaînent sans
temps mort – surtout sous la baguette experte, bien qu’un rien trop
sonore par endroits, du chef américain Larry Blank.
Le livret décrit la découverte par deux provinciales du quartier
new‑yorkais de Greenwich Village, encore populaire dans les années de
crise des années 1930 : c’est là le prétexte à un récit d’apprentissage
aussi drôle que touchant, où la recherche désespérée d’un emploi se
télescope avec la découverte des premiers émois amoureux. L’imagination
féconde de Bernstein se régale de la variété des situations dramatiques,
entre dîner embarrassant à cinq arbitré par des saillies piquantes aux
vents, revue désopilante des soupirants brésiliens en mode « conga » ou
encore ensemble déjanté avec chœur lors de la scène finale du
night‑club. Outre les divertissements dansés, très nombreux, ce
tourbillon d’énergie joyeuse sait aussi laisser la place à l’émotion et à
la mélancolie, lorsque les sœurs regrettent leur Ohio natal ou
découvrent le pouvoir du sentiment amoureux.
Curieusement, il a fallu attendre 2018 pour découvrir cet ouvrage en
création française à Toulon, en une production d’Olivier Bénézech à
juste titre couronnée par le Grand Prix de l’Académie Charles Cros :
précédée de cet excellent bouche-à-oreille, la reprise affiche
logiquement complet pour cette première représentation. On comprend vite
pourquoi, tant la mise en scène épouse les situations avec un sens des
couleurs et du brio toujours respectueux du livret, bien aidé par les
projections vidéo en arrière‑scène de Gilles Papain, évoquant les
différents lieux avec un mélange d’élégance et de malice. Avec
l’ébouriffant travail sur les costumes, quelques brèves références
volontairement anachroniques au début (des émeutes de Stonewall au boys band
disco Village People) plantent le décor bohème de l’action, surtout
impressionnante dans le travail chorégraphique, d’une ivresse pétillante
et toujours juste dans sa parfaite imbrication avec le récit.
Le plateau vocal réuni donne à entendre deux chanteuses d’exception pour
interpréter les sœurs, valant à elles seules le déplacement : déjà
entendues ici même dans South Pacific en 2022,
Kelly Mathieson (Eileen) et Jasmine Roy (Ruth) ravissent à chacune de
leurs interventions par la beauté irradiante de leur timbre et leur sens
de l’abattage rythmique, d’une précision millimétrée : de là un
sentiment d’évidence et de naturel qui ravit tout du long, avant une
ovation publique amplement méritée en fin de soirée. Le reste de la
distribution tient la route, mais ne se situe malheureusement pas sur
les mêmes cimes, surtout Maxime de Toledo (Bob Baker), qui compense une
émission vocale chevrotante par une interprétation théâtrale plus
affirmée. A ses côtés, les rôles de caractère manquent malheureusement
de la folie attendue, du fait d’un jeu d’acteur trop convenu, notamment
celui de Max Carpentier. Un bémol mineur pour une production très
réussie, qui démontre une fois encore les affinités d’Olivier Bénézech
avec ce répertoire, comme jadis Jean‑Luc Choplin.
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