Avec ses 489 places, la salle principale du Centre des Bords de Marne
offre un écrin intimiste idéal pour les nombreux spectacles de danse,
jazz et musique classique qui trouvent une large place dans la
programmation de cette scène nationale conventionnée « art et
création ». Le Théâtre du Perreux‑sur‑Marne peut ainsi s’enorgueillir
d’un accueil régulier de l’Orchestre national d’Ile‑de‑France ou de
productions audacieuses telles que Le Code noir de Louis Clapisson en 2020, sans parler de sa résidence féconde avec l’Arcal, depuis 2020.
Forte de l’expertise accumulée tout au long de ses quarante ans
d’existence, la compagnie nationale de théâtre lyrique et musical,
dirigée depuis 2009 par Catherine Kollen, n’a de cesse de monter de
nouveaux projets en coproduction avec différentes scènes nationales à
travers toute la France : de quoi toucher tous les publics, y compris
ceux moins habitués à la fréquentation du répertoire opératique. On
pense ainsi, ces dernières années, à des spectacles aussi réussis qu’Armida de Haydn en 2014, L’Empereur d’Atlantis d’Ullmann en 2015, La Petite renarde rusée de Janácek en 2016, ou, dans une moindre mesure, Crésus de Keiser en 2020.
A cette liste, s’ajoute la tragédie lyrique Chimène ou le Cid
(1783) d’Antonio Sacchini, montée en 2017 à Massy, Herblay et déjà au
Perreux‑sur‑Marne. Si la pandémie a repoussé la reprise de l’ouvrage, on
le retrouve pour une unique date au Centre des Bords de Marne, avec des
interprètes différents par rapport à la création, hormis les deux rôles
principaux. C’est là l’occasion de découvrir l’un des compositeurs les
plus fêtés de son temps, mais malheureusement largement oublié de nos
jours, et ce malgré plusieurs initiatives isolées, dont l’excellent
enregistrement en 2013 par Christophe Rousset de la tragédie lyrique Renaud. Avec Le Cid,
Sacchini s’attaque à un autre monument littéraire, centré cette fois
sur la figure de Chimène. Sa musique électrique et haute en couleur
trouve en Julien Chauvin un interprète vigoureux, qui opte pour des
attaques sèches et des tempi très vifs : de quoi donner un relief
saisissant aux nombreuses scènes guerrières qui parsèment l’ouvrage. On
est plus déçu en revanche lors des parties intimistes, qui manquent de
respiration et d’attention à l’expression des sentiments, en contraste.
Artavazd Sargsyan et Agnieszka Slawinska |
Quoi qu’il en soit, son travail donne beaucoup de tenue à l’ensemble,
autant par la précision des attaques, que l’attention à l’articulation
avec ses chanteurs, et tout particulièrement les superlatifs Chantres du
Centre de musique baroque de Versailles, véritables rayons de lumière à
chacune de leurs interventions. Leur niveau technique n’a pas à rougir
de celui offert par les solistes, et l’on se réjouit tout du long du
sens des couleurs et de la cohésion d’ensemble. A leurs côtés, on est
moins convaincu en revanche par la prestation d’Agnieszka Slawinska dans
le difficile rôle‑titre, du fait d’une prononciation perfectible du
français (et ce malgré l’expérience accumulée avec l’Opéra Studio de
l’Opéra du Rhin, de 2006 à 2008) et d’une émission étranglée dans le
suraigu, au fort vibrato, qui rend ses phrasés peu naturels. La soprano
polonaise compense ses difficultés par un investissement dramatique
engagé, mais on aurait préféré une artiste francophone dans un rôle
aussi décisif.
Parmi les grandes révélations de la soirée figurent les prestations de
Florent Karrer (Don Diègue) et Louis de Lavignère (Héraut d’armes), tous
deux superbes de vérité dans leurs rôles respectifs. Ainsi de
l’autorité naturelle de Florent Karrer, portée par une clarté d’émission
et une aisance sur toute la tessiture, mais c’est peut‑être plus encore
Louis de Lavignère qui impressionne par la beauté de son timbre charnu,
parfaitement projeté. On aime aussi la classe d’Artavazd Sargsyan
(Rodrigue), aux phrasés toujours aussi raffinés, et ce malgré un manque
de puissance et une émission parfois trop nasale. Tout le reste de la
distribution apporte beaucoup de satisfactions, au premier rang desquels
le solide Roi de Castille de Laurent Deleuil ou le chant raffiné et
gracile du Don Sanche de Benjamin Alunni.
On mentionnera enfin la mise en scène élégante et épurée de Sandrine
Anglade, qui se joue de la contrainte de l’étroitesse de la scène en
incluant les instrumentistes, tous grimés en juré d’un tribunal
métaphorique. Recentrée en une sorte de huis clos étouffant où Chimène
demande justice, la scénographie permet de concentrer l’attention sur
les tourments de la protagoniste. On aime aussi l’idée de jouer avec les
éléments techniques (particulièrement les éclairages) en un ballet
minimaliste, qui impose un climat d’étrangeté tout du long, au service
d’un travail probe et toujours pertinent.
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