Parmi les programmes les plus audacieux de la saison, ce concert
consacré aux musiques de l’Europe centrale au siècle dernier démontre
toute la volonté de Radio France de sortir des sentiers battus : si le
Chœur de Radio France est un habitué en la matière, on ne peut que se
féliciter de lui adjoindre le Philharmonique, qui se rappelle là l’une
de ses missions originelles, explorer les musiques du XXe siècle.
La soirée débute avec les seules forces de seize solistes du chœur, tout
entiers concentrés à faire émerger les délices d’envoûtement du Lux Aeterna (1966) de Ligeti (1923‑2006), courte pièce ajoutée un an après la composition du Requiem
(1965) et souvent donnée indépendamment de celui‑ci. La durée totale du
concert (un peu moins d’une heure de musique) aurait certainement pu
permettre d’adjoindre le Requiem dans sa version complète, comme récemment
à Berlin, afin de fêter de façon retentissante le centième anniversaire
de la naissance de Ligeti. Quoi qu’il en soit, cette mise en bouche
permet de se délecter des effets de chatoiement et des superpositions
fascinantes des voix, même si quelques duretés dans les attaques
(surtout côté féminin) mettent parfois à mal le climat hypnotique, en
quasi‑suspension, propre à ce petit bijou. Le concert permet aussi de
saisir les dernières mesures conclusives, surprenantes et irréelles, où
le chef Roland Hayrabedian suspend le temps en battant la mesure dans un
silence complet.
Le contraste n’est que plus saisissant avec la cantate L’Evangile éternel
(1914) de Janácek, qui convoque les masses opulentes du
Philharmonique : en grande partie méconnue, cette légende dramatique
comporte pourtant des pages d’une inspiration lumineuse, au lyrisme
débordant et communicatif. L’écriture séquentielle de Janácek parcourt
tout l’orchestre de ses ruptures et mélodies interrompues, des
oppositions entre subtilités du premier violon (admirable Hélène
Collerette) et fanfares péremptoires des cuivres, sans parler des
interventions plus homophoniques du chœur. Outre les détails piquants au
piccolo, l’orchestre, frémissant et mouvant, contraste avec le chant
ardent du ténor Nicky Spence, dont l’attention au texte force
l’admiration. En acteur chevronné, il se tourne plusieurs fois vers le
chœur au fond de la scène, comme pour le défier de ses harangues, tandis
que sa partenaire Katerina Knězíková, plus puissante dans les tutti,
donne beaucoup de conviction à son interprétation, bien portée par la
direction virevoltante et engagée de Jakub Hrůsa.
On retrouve le chef tchèque plus enthousiaste que jamais après
l’entracte, entre bonds sur le podium et regards enflammés vers ses
interprètes, pour donner une énergie sans pareille au Concerto pour orchestre
(1954) : le tout premier succès de la carrière de Lutoslawski fut aussi
celui qu’il renia ensuite, tant il devint difficile d’assumer une
inspiration tournées vers les mélodies populaires traditionnelles, en
grande partie tonale. C’est pourtant là un témoignage éclatant du style
minéral, volontiers abrupt et spectaculaire du compositeur, qui démontre
toutes ses qualités d’orchestrateur. Très rythmique et dramatique, sa
musique sait aussi s’apaiser pour embrasser, au début du deuxième
mouvement (Capriccio notturno), toute la grâce virevoltante des cordes soyeuses qui se répondent avec les vents, en une joute aérienne en lointain écho au Vol du bourdon
de Rimski‑Korsakov. Plus déroutant, le Finale alterne plusieurs
variations et autant d’atmosphères étourdissantes, après le début en
sourdine aux contrebasses et les brèves volutes orientalisantes au cor
anglais : à grand renfort d’effets cuivrés, les ruptures sauvages
évoquent Varèse, en un finale éruptif et débordant d’idées qui laissent
l’auditeur sonné mais ravi.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
dimanche 4 juin 2023
Concert de l'Orchestre philharmonique de France - Jakub Hrůsa - Maison de la Radio - 01/06/2023
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