dimanche 4 juin 2023

Concert de l'Orchestre philharmonique de France - Jakub Hrůsa - Maison de la Radio - 01/06/2023

Parmi les programmes les plus audacieux de la saison, ce concert consacré aux musiques de l’Europe centrale au siècle dernier démontre toute la volonté de Radio France de sortir des sentiers battus : si le Chœur de Radio France est un habitué en la matière, on ne peut que se féliciter de lui adjoindre le Philharmonique, qui se rappelle là l’une de ses missions originelles, explorer les musiques du XXe siècle.

La soirée débute avec les seules forces de seize solistes du chœur, tout entiers concentrés à faire émerger les délices d’envoûtement du Lux Aeterna (1966) de Ligeti (1923‑2006), courte pièce ajoutée un an après la composition du Requiem (1965) et souvent donnée indépendamment de celui‑ci. La durée totale du concert (un peu moins d’une heure de musique) aurait certainement pu permettre d’adjoindre le Requiem dans sa version complète, comme récemment à Berlin, afin de fêter de façon retentissante le centième anniversaire de la naissance de Ligeti. Quoi qu’il en soit, cette mise en bouche permet de se délecter des effets de chatoiement et des superpositions fascinantes des voix, même si quelques duretés dans les attaques (surtout côté féminin) mettent parfois à mal le climat hypnotique, en quasi‑suspension, propre à ce petit bijou. Le concert permet aussi de saisir les dernières mesures conclusives, surprenantes et irréelles, où le chef Roland Hayrabedian suspend le temps en battant la mesure dans un silence complet.


Le contraste n’est que plus saisissant avec la cantate L’Evangile éternel (1914) de Janácek, qui convoque les masses opulentes du Philharmonique : en grande partie méconnue, cette légende dramatique comporte pourtant des pages d’une inspiration lumineuse, au lyrisme débordant et communicatif. L’écriture séquentielle de Janácek parcourt tout l’orchestre de ses ruptures et mélodies interrompues, des oppositions entre subtilités du premier violon (admirable Hélène Collerette) et fanfares péremptoires des cuivres, sans parler des interventions plus homophoniques du chœur. Outre les détails piquants au piccolo, l’orchestre, frémissant et mouvant, contraste avec le chant ardent du ténor Nicky Spence, dont l’attention au texte force l’admiration. En acteur chevronné, il se tourne plusieurs fois vers le chœur au fond de la scène, comme pour le défier de ses harangues, tandis que sa partenaire Katerina Knězíková, plus puissante dans les tutti, donne beaucoup de conviction à son interprétation, bien portée par la direction virevoltante et engagée de Jakub Hrůsa.


On retrouve le chef tchèque plus enthousiaste que jamais après l’entracte, entre bonds sur le podium et regards enflammés vers ses interprètes, pour donner une énergie sans pareille au Concerto pour orchestre (1954) : le tout premier succès de la carrière de Lutoslawski fut aussi celui qu’il renia ensuite, tant il devint difficile d’assumer une inspiration tournées vers les mélodies populaires traditionnelles, en grande partie tonale. C’est pourtant là un témoignage éclatant du style minéral, volontiers abrupt et spectaculaire du compositeur, qui démontre toutes ses qualités d’orchestrateur. Très rythmique et dramatique, sa musique sait aussi s’apaiser pour embrasser, au début du deuxième mouvement (Capriccio notturno), toute la grâce virevoltante des cordes soyeuses qui se répondent avec les vents, en une joute aérienne en lointain écho au Vol du bourdon de Rimski‑Korsakov. Plus déroutant, le Finale alterne plusieurs variations et autant d’atmosphères étourdissantes, après le début en sourdine aux contrebasses et les brèves volutes orientalisantes au cor anglais : à grand renfort d’effets cuivrés, les ruptures sauvages évoquent Varèse, en un finale éruptif et débordant d’idées qui laissent l’auditeur sonné mais ravi.

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