Quel plaisir de retrouver un Théâtre du Champs-Elysées
pris d’assault par une foule des grands soirs, il est vrai alléché par
une des affiches les plus stimulantes de la saison, notamment le retour
de Pene Pati dans la capitale, un peu moins de deux ans
après son triomphe à l’Opéra Comique dans Roméo et Juliette de Gounod.
On se réjouit que le public ait retrouvé en nombre le chemin des grandes
maisons d’opéra, laissant de côté le triste souvenir des salles à
moitié vide de l’après-pandémie. On pouvait pourtant craindre une
certaine désaffection, suite à la concurrence de l’autre Bohème reprise à
l’Opéra Bastille jusqu’au 4 juin dernier.
Controversé en raison de sa transposition audacieuse dans l’espace, ce
spectacle a pour le moins divisé l’assistance, peut-être encline à
préférer le travail plus traditionnel d’Eric Ruf, volontiers consensuel dans ses partis-pris mesurés.
Ainsi de la première partie du spectacle qui troque la mansarde minable des protagonistes pour leur préférer un immense rideau de scène en cours de réalisation, comme une métaphore d’un destin d’artistes que chacun espère embrasser : on retrouve ce même rideau en fin d’ouvrage, comme si la mort de Mimi venait sonner le glas d’une jeunesse qui passe trop vite, brisant les ambitions de se faire une place dans la société, ne serait-ce que pour se loger et se sustenter correctement. Entre les deux, Ruf se saisit des scènes d’ensemble sans jamais éblouir dans sa direction d’acteur trop sage, même si l’assemblage astucieux des éléments de décors de théâtre au II permet de se jouer de l’exiguïté de la scène, avec une foule reléguée aux arrières plans. L’élégance des costumes de Christian Lacroix couronne cette proposition toujours très probe, mais qui manque d’idées pour convaincre sur la durée, se reposant (trop) sur les seuls éléments visuels, aussi réussis soient-ils.
Pene Pati et Selene Zanetti |
Les seconds rôles se montrent à un haut niveau, au premier rang desquels Alexandre Duhamel (Marcello), qui réjouit à force de mordant dans les intentions, autour d’une belle projection. Manifestement gêné par un timbre rauque (le Français montre sa gorge au moment des saluts, comme pour s’excuser), Duhamel donne beaucoup de plaisir du fait de son aisance scénique : un domaine où doit encore progresser Guilhem Worms (Colline). Ce dernier fait valoir la beauté de son timbre et la pureté de son émission, toujours très noble, mais on aimerait le pousser dans la prise de risque pour nous électriser plus encore. Même impression pour la prestation solide d’Amina Edris, qui donne à sa Musetta les atours de la pimbêche attendue, sans pour autant endosser ceux de la courtisane. Trop de contrôle là aussi, avec quelques duretés dans le suraigu, même si l’essentiel est là. Autour des parfaits Francesco Salvadori (belle résonance) et Marc Labonnette (désopilant), les choeurs montrent une belle préparation, malgré quelques réparties trop sonores par endroit.
Un défaut sans doute dû à la direction inégale et tout en contraste de Lorenzo Passerini, qui brusque ses troupes (et couvre le plateau) dans les parties verticales pour mieux les enjoindre à l’apaisement dans les passages mesurés. Fort heureusement, les superbes couleurs d’un Orchestre national de France en grande forme viennent compenser ce geste déroutant, qui devrait trouver sa juste mesure pour la suite des représentations.
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