Créé en 2013 à Bordeaux pour fêter le 50ème anniversaire de la mort de Francis Poulenc, le spectacle imaginé par Mireille Delunsch fait son retour au Grand-Théâtre le jour même de la disparition de Kaija Saariaho (1952-2023) : une coïncidence évidemment poignante, qui fait prendre la parole au directeur Emmanuel Hondré avant le début du spectacle pour dédier opportunément cette première représentation à la compositrice finlandaise. De quoi imposer une concentration et un sentiment de gravité à même de pénétrer les états d’âme du récit initiatique de Blanche de la Force, magnifié par la hauteur d’inspiration bouleversante de Poulenc (également auteur du livret, adapté de Bernanos).
Sur scène, l’étroitesse des perspectives initiales de l’héroïne est d’emblée suggérée par l’espace volontairement réduit, où les deux hommes de la maison (son père et son frère) discutent du seul avenir possible de Blanche, le mariage. Contre toute attente, la jeune fille fait le choix du couvent, alors que la musique de Poulenc oppose la finesse des interrogations spirituelles aux bruits plus débraillés de la ville et de la foule. De quoi annoncer la fureur des tourments révolutionnaires déjà en gestation, ce que la mise en scène suggère par quelques saynètes montrées brièvement en arrière-scène, à plusieurs reprises au cours du spectacle. Le travail de Mireille Delunsch épouse une lecture traditionnelle d’une rigueur minutieuse dans le moindre détail lié à l’action, tout en allégeant la scénographie de lourdeurs inutiles, en une épure d’une belle facture. Si la direction d’acteur se montre parfois un rien trop statique en première partie, cette lecture probe reste idéale pour une première découverte de l’ouvrage.
Le plateau vocal se montre inégal jusque dans les premiers rôles. La principale déception de la soirée vient précisément de Mireille Delunsch, qui peine à tenir son rôle de Madame de Croissy, pourtant l’un des plus touchants de l’ouvrage. Trahie par son instrument, notamment un timbre qui se délite dans le medium et les piani, la soprano française peine aussi à s’imposer face à l’orchestre, faute d’une projection plus affirmée. Seule la technique montre Delunsch encore au sommet, mais c’est trop peu pour nous faire oublier le souvenir d’une brulante Sylvie Brunet dans ce même rôle, voilà 10 ans ici-même.
On attendait aussi davantage de Patrizia Ciofi en
Madame Lidoine, qui souffre également dans les demi-teintes nombreuses,
avant de se rattraper quelque peu lorsque l’émission est en pleine voix.
On lui préfère grandement les phrasés rayonnants d’aisance et de souplesse d’Anne-Catherine Gillet
(Blanche), qui sculpte les mots avec une attention exemplaire au sens. A
peine pourrait-on souhaiter un grave plus étoffé par endroits, mais la
chanteuse française reste certainement l’une des meilleures interprètes
actuelles du rôle. A ses côtés, que dire aussi de la prestation
superlative de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, entre
clarté d’expression et graves gorgés de couleurs, qui reçoit une ovation
aussi enthousiaste que méritée aux saluts. Si les seconds rôles
assurent bien leur partie, particulièrement la délicieuse Lila Dufy et les solides Frédéric Caton et Thomas Bettinger, on est surtout impressionné par la présence mordante du choeur, très bien préparé pour l’occasion.
Pour ses débuts bordelais en tant que chef lyrique, Emmanuel Villaume rate malheureusement son Poulenc, en voulant trop ressortir les contrastes entre scènes d’ensemble et parties intimistes, peinant à assimiler la fosse très sonore du Grand-Théâtre. Gageons que les prochaines représentations le verront s’adapter davantage à l’acoustique des lieux, avec des tempi plus apaisés, en phase avec le débit de ses interprètes.
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