Ancienne assistante de Robert Carsen, Emmanuelle Bastet évacue tout orientalisme pesant pour faire résonner avec notre époque le conte de Turandot : un travail d’une justesse dramatique passionnante jusque dans ses moindres détails, magnifié par un rôle-titre d’exception, la soprano norvégienne Elisabeth Teige, déjà invitée à Bayreuth et sur toutes les grandes scènes européennes.
On n’a pas fini d’approfondir les richesses du livret de Turandot, dont les productions récentes à Genève ont mis, par exemple, l’accent sur la figure trouble de Calaf, aussi peu reluisante que celle de Turandot. À Strasbourg, Emmanuelle Bastet choisit cette fois de transposer l’action en une Chine contemporaine envahie par les nouvelles technologies, avec un peuple soumis à son téléphone portable et privé de recul face aux injonctions totalitaires.
Aux vibrantes scènes initiales marquées par l’agitation de la foule, autour du Mandarin transformé en présentateur de téléréalité, succède l’épure de la scénographie lors des joutes verbales hautes en couleur des trois ministres : subtilement, Bastet subdivise cette longue scène pour en clarifier la structure, comme la richesse d’interprétation. On comprend mieux, dès lors, les velléités des ministres à s’affranchir des rigueurs absurdes d’un travail sans âme, en un effet de miroir saisissant sur les méfaits actuels en la matière.
Elisabeth Teige |
Si la scène des énigmes montre quelques lourdeurs dans la volonté géométrique de présentation des obligés, enfants compris, le spectacle prend ensuite une ampleur émouvante en concentrant le point de vue sur Turandot, qui passe par toutes les émotions – de l’arrogance initiale à l’hébètement face aux injonctions émancipatrices de Calaf. Si le spectacle refuse de croire au happy end voulu par les librettistes, il fait le choix heureux du final complet préféré par Alfano, qui offre une vision beaucoup plus réaliste des motivations des protagonistes, avec une musique évocatrice et moins cuivrée que celle de la version habituellement choisie – celle modifiée par la volonté de Toscanini.
Cette réussite scénique bénéficie de l’investissement dramatique d’Elisabeth Teige, dont on pourrait croire que le rôle de Turandot a été écrit pour elle, tant son aisance sur toute la tessiture frise la perfection, autour d’attaques mordantes d’intensité, toujours au service du sens. À ses côtés, le Calaf plus pâle d’Arturo Chacon-Cruz souffre d’une émission trop serrée dans l’aigu et déçoit par sa faiblesse de projection, très pénalisante dans les tutti.
Leurs comparses se montrent à un haut niveau, à l’instar de la bouleversante Adriana Gonzalez (Liù), d’une souplesse de phrasé exemplaire, de même que l’excellent Alessio Arduini (Ping), aux riches graves et d’une présence animale. Très bien préparé, les chœurs se montrent à la hauteur de l’événement, même si on note quelques stridences au niveau des aigus féminins ou encore un chœur d’enfants un rien trop tendre.
Tout ce petit monde est dirigé par un Domingo Hindoyan qui allège les
textures et fouille les détails en des tempi toujours très mesurés. Si
l’articulation avec le plateau laisse parfois à désirer, on s’habitue
progressivement à ce geste chambriste au peu de relief, qui refuse toute
grandiloquence au service de la mise en valeur des timbres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire