Pour accueillir Street Scene (1947), l’un des chefs‑d’œuvre de la période américaine de Kurt Weill, la salle a été aménagée autour d’un dispositif original, en plaçant une partie du public derrière la fosse, tandis qu’un gradin permet aux chanteurs de surplomber et entourer l’orchestre, de tous côtés. Hormis cet aménagement, aucun décor ne vient surcharger l’action, qui repose sur la direction d’acteur dynamique de Ted Huffman. Dans ce huis‑clos immédiatement étouffant, le public est ainsi placé en situation de voyeur, un peu à la manière de James Stewart dans Fenêtre sur cour (1954).
La version proposée réduit l’action aux personnages principaux,
induisant quelques coupures, ce qui permet au spectacle, ainsi intitulé
au pluriel « Street Scenes », de rester dans des limites
raisonnables en terme de durée, soit deux heures et demie, avec un
entracte (davantage que les extraits déjà donnés par l’Académie en 2010
dans une autre mise en scène). L’ouvrage avait connu un regain
d’intérêt lors de l’édition du premier enregistrement mondial en 1991 (Decca), avant la récente production haute en couleur de John Fulljames (en 2018 à Madrid puis en 2020 à Monte‑Carlo).
Musicalement, Street Scene lorgne davantage vers la comédie
musicale que l’opéra, en gardant toujours une hauteur de vue digne de
son livret, qui questionne tout du long les corsets sociaux, surtout
pour ce qui tient de la condition féminine. A cet effet, la dernière
partie plus sombre, aux verticalités plus audacieuses pour coller au
drame, donne une profondeur bienvenue à l’ensemble. Auparavant, les
nombreux rythmes de jazz entremêlés (avec l’ajout d’une batterie)
annoncent déjà Bernstein, ce qui inspire manifestement Huffman dans le
duo aux danses voltigeuses, entre Mae Jones et Dick. Si le tout est bien
enlevé, on regrette toutefois le peu d’identification des personnages,
notamment leurs liens familiaux, au‑delà des costumes qui différencient
les origines sociales.
L’interprétation, très homogène, s’avère réjouissante de bout en bout,
entre la lumineuse Margarita Polonskaya (Anna Maurrant) et le ténébreux
Ihor Mostovoi (Frank Maurrant), tous deux très investis dramatiquement.
On aime aussi le Sam ardent de Kevin Punnackal, de même que l’excellent
chœur des commères, tenu par les piquantes Sima Ouahman (Greta
Fiorentino) et Seray Pinar (Emma Jones). Dans la fosse, la cheffe Yshani
Perinpanayagam (41 ans) insuffle une belle énergie, en un sens du swing
communicatif, et ce sans jamais couvrir ses interprètes (il est vrai
sonorisés). Une très belle production, qui permet d’apprécier les
talents de demain, que l’Académie promeut avec beaucoup de flair.
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