dimanche 21 avril 2024

« Street Scenes » d’après Kurt Weill - Ted Huffman - MC 93 à Bobigny - 21/04/2024

Comme chaque année (voir l’an passé à l’Athénée), l’Académie de l’Opéra national de Paris confronte sa troupe à plusieurs spectacles en public : de quoi l’habituer à l’électricité du spectacle vivant, à l’instar des jeunes recrues de l’Orchestre Ostinato. Après plusieurs années d’absence suite aux travaux de rénovation de la MC93 de Bobigny, l’Académie y fait son retour dans une salle modernisée notamment quant à l’isolation phonique extérieure.

Pour accueillir Street Scene (1947), l’un des chefs‑d’œuvre de la période américaine de Kurt Weill, la salle a été aménagée autour d’un dispositif original, en plaçant une partie du public derrière la fosse, tandis qu’un gradin permet aux chanteurs de surplomber et entourer l’orchestre, de tous côtés. Hormis cet aménagement, aucun décor ne vient surcharger l’action, qui repose sur la direction d’acteur dynamique de Ted Huffman. Dans ce huis‑clos immédiatement étouffant, le public est ainsi placé en situation de voyeur, un peu à la manière de James Stewart dans Fenêtre sur cour (1954). 

La version proposée réduit l’action aux personnages principaux, induisant quelques coupures, ce qui permet au spectacle, ainsi intitulé au pluriel « Street Scenes », de rester dans des limites raisonnables en terme de durée, soit deux heures et demie, avec un entracte (davantage que les extraits déjà donnés par l’Académie en 2010 dans une autre mise en scène). L’ouvrage avait connu un regain d’intérêt lors de l’édition du premier enregistrement mondial en 1991 (Decca), avant la récente production haute en couleur de John Fulljames (en 2018 à Madrid puis en 2020 à Monte‑Carlo).

Musicalement, Street Scene lorgne davantage vers la comédie musicale que l’opéra, en gardant toujours une hauteur de vue digne de son livret, qui questionne tout du long les corsets sociaux, surtout pour ce qui tient de la condition féminine. A cet effet, la dernière partie plus sombre, aux verticalités plus audacieuses pour coller au drame, donne une profondeur bienvenue à l’ensemble. Auparavant, les nombreux rythmes de jazz entremêlés (avec l’ajout d’une batterie) annoncent déjà Bernstein, ce qui inspire manifestement Huffman dans le duo aux danses voltigeuses, entre Mae Jones et Dick. Si le tout est bien enlevé, on regrette toutefois le peu d’identification des personnages, notamment leurs liens familiaux, au‑delà des costumes qui différencient les origines sociales.

L’interprétation, très homogène, s’avère réjouissante de bout en bout, entre la lumineuse Margarita Polonskaya (Anna Maurrant) et le ténébreux Ihor Mostovoi (Frank Maurrant), tous deux très investis dramatiquement. On aime aussi le Sam ardent de Kevin Punnackal, de même que l’excellent chœur des commères, tenu par les piquantes Sima Ouahman (Greta Fiorentino) et Seray Pinar (Emma Jones). Dans la fosse, la cheffe Yshani Perinpanayagam (41 ans) insuffle une belle énergie, en un sens du swing communicatif, et ce sans jamais couvrir ses interprètes (il est vrai sonorisés). Une très belle production, qui permet d’apprécier les talents de demain, que l’Académie promeut avec beaucoup de flair.

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