Depuis Les Barbares
voilà dix ans, le Palazzetto Bru Zane (PBZ) a poursuivi peu à peu son
projet d’enregistrer toutes les raretés lyriques du plus célèbre
compositeur de son temps. De Proserpine au Timbre d'argent, en passant par La Princesse jaune et Phryné,
on reste frappé par la diversité de l’inspiration de Saint‑Saëns, à
même de démontrer sa curiosité et sa maîtrise de nombreuses sujets et
formes, bien éloignés de l’image de la figure académique trop sérieuse
dans laquelle il s’est souvent laissé enfermer, plus ou moins
volontairement. A preuve, son goût éperdu pour l’art antique s’est
épanoui autant en une délicieuse pochade, avec Phryné (1893), avant de remettre au goût du jour le modèle ancien de la tragédie lyrique, pour sa Déjanire revisitée en 1911.
L’histoire du dernier ouvrage lyrique de Saint-Saëns souffre de la
confusion avec la musique de scène composée pour la création de la
tragédie éponyme de Louis Gallet, en 1898. En réalité, bien que
Saint‑Saëns soit reparti du même livret, il en allège considérablement
les dialogues pour les transformer en récitatifs, dans le moule
déclamatoire éloquent de la tradition de Gluck. Plus des trois quarts de
la musique est nouvellement composée, tandis que celle préservée est
entièrement réinstrumentée, avec l’ajout d’un nouveau Prélude citant le
thème initial de son poème symphonique La Jeunesse d’Hercule (1877).
Si l’ouvrage souffre de quelques raideurs, il gagne à la réécoute pour
en pénétrer peu à peu les beautés, notamment ses chœurs majestueux, très
bien écrits et interprétés par un Chœur de l’Opéra de Monte‑Carlo d’une
belle cohésion, surtout côté masculin. Une fois n’est pas coutume, les
équipes du PBZ font appel à deux chanteuses non francophones pour les
rôles principaux, Kate Aldrich (Déjanire) et Anna Dowsley (Phénice), peu
à l’aise avec les exigences de la prononciation. Malgré une émission
parfois nasale, Julien Dran (Hercule) séduit en ce domaine, tout en
faisant l’étalage d’une expression ardente, en phase avec son rôle
héroïque. La distribution est bien complétée par une superlative Anaïs
Constans (Iole), tandis que Jérôme Boutillier (Philoctète) assure
l’essentiel, mais se montre un rien plus raide qu’à l’habitude.
Enfin, la direction mesurée de Kazuki Yamada met en valeur les timbres
de l’Orchestre philharmonique de Monte‑Carlo, mais peine à mettre
davantage en relief les scènes de caractère.
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
lundi 22 avril 2024
« Déjanire » de Camille Saint-Saëns - Kazuki Yamada - Disque Palazzetto Bru Zane
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