Si la plupart des représentations de l’Opéra de Bavière ont lieu dans la
vaste salle du Théâtre national (2 100 places), il faut se précipiter
pour voir ceux organisés dans l’intimité du Théâtre Cuvilliés,
évidemment plus rares. Bien que reconstruit après la Seconde Guerre
mondiale, ce petit théâtre rococo a su conserver sa décoration
originale, qui avait heureusement été mise à l’abri des bombardements :
outre ses dorures éclatantes et ses drapés rougeoyants en trompe‑l’œil,
cette salle chargée d’histoire peut s’enorgueillir d’avoir accueilli la
création d’Idoménée de Mozart, en 1780.
Un placement à l’orchestre ou en loge de face est préférable, tant les
loges de côté ne permettent pas une vision optimale, y compris au
premier rang, sauf à se pencher pendant tout le spectacle pour embrasser
la totalité de la scène. Seul regret : les surtitres ne sont proposés
qu’en allemand, alors que l’écran semble pouvoir accueillir deux
langues. Rénové en entre 2004 et 2008, le théâtre permet d’accueillir
des productions plus ambitieuses qu’il n’y paraît, du fait de la
profondeur étendue de sa scène, qui a notamment permis l’installation
d’un plateau tournant. Pour autant, la mise en scène de Tamara Trunova
choisit de restreindre l’espace à l’avant‑scène pour la première partie
du spectacle, consacrée à Lucrèce (1937) d’Ottorino Respighi,
dans une réduction de Richard Whilds (2024). Cet opéra en un acte est
relié pour la première fois à un autre ouvrage contemporain tout aussi
bref, dans une réduction de Takénori Némoto (2007), La Lune de Carl Orff (1939), parfois donné seul (comme à Paris en 2007) mais le plus souvent avec son « jumeau », inspiré d’un autre conte de Grimm, Die Kluge (La Finaude) – quoiqu’à Francfort l'an passé avec un couplage inattendu.
La scène rétrécie pour Lucrèce cherche à créer une sensation de
malaise, enfermant l’héroïne et ses suivantes dans des petites vitrines
de verre, comme autant de trophées accessibles au plus offrant. La
masculinité toxique, ici dénoncée, s’incarne dans l’aspect physique
interchangeable des mâles, qui s’interrogent sur la fidélité de leur
promise, avant que l’un d’eux ne commette l’irréparable. Plus tard,
après l’entracte, les mêmes s’autorisent toutes les audaces en se
partageant la Lune, jusqu’à réveiller les morts. La scénographie ouvre
enfin la scène pour dévoiler un décor monumental (chargé d’accueillir le
chœur), qui évoque une sorte de forêt découpée en pop‑up, admirablement revisitée par les éclairages.
L’autre atout décisif revient au plateau vocal réuni, qui permet de découvrir les jeunes pousses déjà très affûtées de l’Opéra Studio (équivalent de l’Académie de l’Opéra national de Paris). Outre des voix graves masculines impressionnantes dans les seconds rôles, on est surtout émerveillé par le chant souple et naturel de Natalie Lewis (La Voce), au timbre chaud et suave, qui emporte l’adhésion. Louise Foor donne beaucoup de vérité théâtrale à sa Lucrezia, parfaitement tenue sur l’ensemble de la tessiture, de même que Vitor Bispo (Tarquinio), un peu lent à se chauffer, avant de convaincre dans les parties plus vénéneuses, à la fin. On aime aussi le chant ardent de Liam Bonthrone (le Narrateur), bien épaulé par un Daniel Noyola solide dans ses différents rôles.
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