mardi 21 janvier 2025

« Castor et Pollux » de Jean-Philippe Rameau - Peter Sellars - Opéra Garnier à Paris - 20/01/2025

La version initiale de Castor et Pollux (1737) de Jean-Philippe Rameau fait un retour remarqué à l’Opéra de Paris, là où les productions récentes ont préférées la révision de 1754. Plus proche du modèle lullyste avec ses récitatifs ensorcelants, cette première mouture bénéficie de l’imagination toujours aussi féconde de Rameau, pour ce qui reste l’un des plus grands succès de sa carrière. Comme en 2019 avec Les Indes galantes, le spectacle confié cette fois à Peter Sellars donne la part belle à la danse moderne de rue, en animant les nombreuses parties orchestrales d’une énergie roborative : de quoi ravir le public d’un vent de fraicheur revigorant !

Le flexing à l’Opéra de Paris ? Le metteur en scène Peter Sellars (né en 1957) en rêvait, lui qui a travaillé avec le chorégraphe Cal Hunt voilà déjà dix ans, afin de faire connaître au plus grand nombre cette danse issue de la Jamaïque, avant de se développer dans les quartiers populaires de New York, lors des années 1990. Avec ses mouvements lascifs et lancinants, le flexing incorpore plusieurs  influences diverses, dont le fameux «moonwalk» de Michael Jackson. Cal Hunt a demandé à ses danseurs de ressentir la musique de Rameau, en lien avec le texte du livret explicité par Sellars, pour laisser libre cours à leur improvisation. Une  impression de collage est perceptible au début, avant que l’on s’habitue peu à peu à cette présence insolite et parfaitement réglée. Certaines scènes s’avèrent mieux intégrées que d’autres, à l’instar du voyage de Pollux aux enfers, où les contorsions des danseurs exploitent le décor de manière inattendue. On reconnait là la patte de Sellars, qui ose un décor unique pendant toute la représentation, en apparence banal avec son intérieur sans personnalité. Pour autant, la variété des éclairages, comme la direction d’acteurs mouvante et dynamique, permet un renouvellement constant, bien aidé par les vidéos toutes aussi envoutantes projetées en arrière-scène : on assiste ainsi à des allers-retours permanents entre la grisaille d’un quotidien ordinaire et la grandeur hypnotique d’images satellites en mode cosmique. 

La compréhension du livret par Sellars s’avère stimulante, en ce qu’elle invite à méditer sur la permanence de la guerre ici-bas, là où l’enfer supposé apparaît autrement plus serein en comparaison. Aucune image ne vient alourdir ce propos, évoqué tout du long à travers le seul costume de Pollux, dont le chemin initiatique gagne ainsi en profondeur, au-delà de ses amours ambivalents pour son frère et sa promise. Toutes ces qualités n’évitent pas toutefois un certain sentiment de lassitude devant la répétition de plusieurs gestuelles, au niveau des danseurs comme du choeur, sans écho à la narration évoquée. Quoi qu’il en soit, le spectacle bénéficie en premier lieu de l’interprétation superlative du Choeur Utopia, surtout côté féminin, entre précision des attaques et admirable homogénéité. Fondé en même temps que l’orchestre du même nom, voilà deux ans, cet ensemble fait ses débuts à l’Opéra de Paris sous la houlette de son directeur artistique Teodor Currentzis. Le chef gréco-russe surprend par ses tempi alternant extrême lenteur dans les passages apaisés, en contraste avec la vivacité des parties plus verticales. Très allégée et quasi transparente par endroit, cette lecture donne un tapis de velours au plateau vocal, qui n’a pas à forcer pour passer la rampe. On peut bien entendu contester ce parti-pris artistique poussant Rameau vers les effluves romantiques du XIXème siècle, dont le systématisme des phrasés, gorgés de détails toujours plus raffinés, fascine autant qu’il agace.

Le plateau vocal réuni apporte beaucoup de satisfactions, même si on aurait aimé une présence francophone plus soutenue. Ainsi de la soprano Jeanine De Bique, originaire de Trinité-et-Tobago, qui se fond avec délice dans les rêveries éthérées proposées par Currentzis, faisant valoir un timbre de velours lorsque la voix est bien posée, mais plus métallique en voix de tête. Si la voix manque de volume dans les ensembles, on aime la capacité de De Bique à faire vivre son personnage d’une variété d’intentions bienvenue. A ses côtés, Stéphanie d’Oustrac montre un même investissement dramatique éloquent, qui fait quelque peu oublier un vibrato trop prononcé au début, manquant de graves. Comme à son habitude, Marc Mauillon donne une prestation d’une solidité technique sans faille, qui l’impose comme l’un des interprètes les plus réjouissants du moment, dans le répertoire baroque (voir son récent succès dans Les Fêtes d'Hébé à l'Opéra-Comique). Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur de l’événement, à l’instar d’un Laurence Kilsby admirable de raffinement à chacune de ses interventions.

lundi 20 janvier 2025

« Salome » de Richard Strauss - Ersan Mondtag - Opéra des Flandres à Gand - 18/01/2025

Le public flamand découvre pour la troisième fois le travail du trublion Ersan Mondtag, jamais avare de provocations dans ses mises en scène hautes en couleurs. Après les réussites du Forgeron de Gand de Schreker en 2020, puis du Lac d’argent de Kurt Weill l’année suivante, l’Allemand s’attaque à l’un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Richard Strauss, adapté de la Salomé d’Oscar Wilde..

Disons-le d’emblée : il ne s’agit pas du travail le plus abouti de Mondtag, qui cherche certes à surprendre, mais au prix de partis-pris pour le moins contestables. Ainsi de l’utilisation répétée des mitraillettes pour figurer la violence du monde post-apocalyptique dans lequel les personnages sont plongés : les armes sont plusieurs fois utilisées par Salomé pour convaincre Jochanaan, puis Herodes, là où le texte préfère la persuasion psychologique, dans l’insistance tranquille mais déterminée de l’héroïne. Cette facilité se retrouve en fin d’ouvrage, lorsque les femmes prennent brutalement le pouvoir, tandis que Salomé chérit fébrilement la tête de l’homme qui s’est refusé à elle. Le choix de montrer une Salomé hésitante, alors que le monde s’écroule autour d’elle, donne ainsi à voir une personnalité plus complexe qu’il n’y paraît. Comme à son habitude, Mondtag s’appuie sur une scénographie et des costumes spectaculaires, dévoilés par le plateau tournant en de multiples saynètes lors des passages orchestraux. De quoi enrichir l’action au niveau visuel, sans apporter toutefois de réel apport sur le fond. On est ainsi assez dubitatif quant au choix de montrer Jochanaan sur le bord du plateau, en observateur extérieur du récit, alors que son sacrifice est imminent.

Face à cette mise en scène inégale, le plateau vocal montre lui aussi quelques faiblesses notables. Ainsi du rôle-titre interprété par Allison Cook, qui peine à passer la rampe dans les tutti souvent dantesques de Strauss, montrant davantage de finesse dans les parties apaisées, malgré quelques suraigus arrachés dans les hauteurs de la tessiture. Si l’interprétation est à la hauteur du personnage, on est en droit d’attendre une Salomé autrement plus vaillante vocalement. L’autre déception vient des couleurs ternes et de l’émission engorgée de Florian Stern (Herodes), qui fait pâle figure aux côtés de la toujours flamboyante Angela Denoke. La soprano allemande conserve ce tempérament de feu qui brûle les planches, faisant de chacune de ses interventions un grand moment dramatique. On aime aussi le Jochanaan vibrant et incarné de Michael Kupfer-Radecky, qui donne une belle hauteur de vue à son interprétation, autour de graves bien projetés. Tous les seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, particulièrement le Narraboth touchant de Denzil Delaere.

Parmi les satisfactions de la soirée, la direction flamboyante d’Aléjo Pérez montre toutes les affinités du directeur musical de l’Opéra Ballet des Flandres avec le répertoire post romantique. La richesse des couleurs, tour à tour morbides et enchanteresses, tout autant que l’articulation des majestueux phrasés de Strauss, montrent un chef argentin à la fête, également inspiré dans la célébrissime et ensorcelante Danse des sept voiles, en fin d’ouvrage.

vendredi 17 janvier 2025

Concert de l'Orchestre de chambre de Paris - Thomas Hengelbrock- Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 16/01/2025

Thomas Hengelbrock

Créé en 1978 sous l’appellation Ensemble orchestral de Paris, l’Orchestre de chambre de Paris a vu l’arrivée en septembre dernier d’un nouveau directeur musical, Thomas Hengelbrock (né en 1958). Ce recrutement marque une étape importante dans la relation privilégiée qu’entretient ce chef d’orchestre allemand avec la scène musicale française. Hengelbrock, qui a été chef associé de l’Orchestre de Paris, réside également à Fontainebleau avec son ensemble spécialisé dans les instruments d’époque, le Balthasar Neumann, comme en témoigne un récent concert donné au Château.

Pour inaugurer sa saison, Hengelbrock a opté pour un programme surprenant, en mettant en lumière deux compositeurs allemands reconnus pour l’ampleur monumentale de leurs œuvres. Ce choix tranche avec le répertoire traditionnellement associé à l’Orchestre de chambre de Paris. La Sixième Symphonie (1881) de Bruckner, bien que conçue à une période où les ensembles orchestraux étaient souvent imposants, repose ici sur des effectifs réduits, dévoilant un caractère romantique et intimiste qui semble particulièrement séduire Hengelbrock.

La première partie du concert était consacrée aux Métamorphoses (1945) de Richard Strauss, une composition pour cordes exprimant la douleur du compositeur face aux ravages de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. L’habituelle richesse sonore de Strauss laisse place à une atmosphère grave et introspective, évoquant des paysages en ruine. La pièce, construite autour de motifs entrelacés, se distingue par sa polyphonie complexe et dense. Les variations circulent d’un pupitre à l’autre, offrant une musique en perpétuelle évolution, dominée par des teintes sombres, avant de s’achever dans un unisson apaisant. En dirigeant ses musiciens debout, Hengelbrock adopte une approche minimaliste, évitant tout excès pathétique ou démonstration technique. Progressivement, cette sobriété s’impose comme une force.

En seconde partie, le chef a continué de surprendre en dirigeant par cœur. Sa lecture, marquée par l’absence de vibrato et des tempi assez vifs, a donné à l’interprétation une légèreté certaine, bien que les passages calmes aient parfois souffert d’un manque de richesse et de contraste. Cette vision stylistique s’est révélée particulièrement déroutante dans l’Adagio, qui a semblé fragmenté, et dans les sections plus lyriques, où la brillance faisait défaut. Néanmoins, la précision avec laquelle les crescendos et les transitions entre les différentes parties ont été abordés s’est avérée remarquable, notamment dans les deux derniers mouvements, joués sans interruption et portés par une intensité croissante.

Parmi les différentes sections de l’orchestre, les cuivres, et plus particulièrement les cors, ont brillé par leur excellence, tandis que les clarinettes ont charmé par leur sonorité délicate et aérienne. Cependant, c’est du côté des cordes, notamment dans les mouvements lents, que l’ensemble devra progresser afin de gagner en expressivité et en profondeur. 

« La Petite Renarde rusée » de Leoš Janáček - André Engel - Opéra Bastille à Paris - 15/01/2025


Quel plaisir de retrouver l’une des plus belles réussites scéniques de ces dernières années pour fêter le retour parisien de La Petite Renarde rusée, l’un des ouvrages les plus originaux de Janáček ! Le compositeur tchèque puise son inspiration dans le folklore de son pays, en nous plongeant dans une succession de saynètes délicieuses, qui mêlent humains et animaux.

Si le récit nous fait prendre conscience des nécessités de la coexistence entre les espèces, André Engel n’oublie pas les autres sous-textes, immédiatement identifiables dans les éléments de décors stylisés qui reviennent tout au long de la soirée, comme plusieurs vignettes dévoilées en alternance. Ainsi du champ de tournesols et de la voie ferrée, qui évoquent en premier lieu la frontière entre la ville et la campagne, tout autant que les prémices de l’urbanisation à l’ère industrielle.

On peut aussi percevoir dans ces lignes directrices une référence à l’horizon tout tracé des personnages (un sujet déjà traité dans l’opéra précédent, Katia Kabanova), à l’instar des déboires amoureux de l’instituteur et du garde-chasse. Incapables de défier les méfaits du temps qui file à toute vitesse entre leurs doigts, les personnages hésitent à se réfugier dans le fatalisme, avant de se rapprocher de la nature en un final bouleversant, sous forme d’hymne au panthéisme unificateur.

Au-delà de ce message philosophique, André Engel traite les scènes comiques, essentiellement dévolues aux animaux, en un sens du détail poétique qui s’appuie sur une élégance toute chorégraphique : interprétés pour la plupart par des enfants, respectant en cela la volonté de Janáček, les animaux sont dotés de costumes farfelus, trouvant le ton juste pour figurer un imaginaire sans excès. On aime aussi la fantaisie du rideau de scène peint, qui résume avec malice les principaux temps-forts de l’opéra, tout en faisant référence à sa source littéraire, une sorte de bande-dessinée.

L’interprétation se montre exemplaire, en premier lieu dans la fosse, qui exalte les couleurs du drame, sans lyrisme ostentatoire. La direction toute de lisibilité du Slovaque Juraj Valčuha s’appuie sur les premiers violons, qui portent la mélodie principale. Dans cette optique, on aime davantage les atmosphères nocturnes, irisées d’une délicate sensibilité, que les parties plus verticales au début, qui manquent quelque peu d’électricité.

Quoi qu’il en soit, l’articulation avec le plateau se montre idéale de bout en bout, des phrasés emprunts de noblesse de Milan Siljanov (Le Garde-chasse) jusqu’aux réparties désopilantes des nombreux seconds rôles, dont le superlatif Éric Huchet. On aime aussi l’aisance scénique et vocale d’Elena Tsallagova (La Renarde), tandis que Paula Murrihy (Le Renard) fait entendre un timbre aigre dans le suraigu, tout en assurant l’essentiel. Un très beau spectacle à découvrir ou redécouvrir en famille, jusqu’au 1er février prochain, dans le vaste vaisseau de l’Opéra Bastille.

lundi 13 janvier 2025

Concert de l'Orchestre national du Capitole de Toulouse - Tarmo Peltokoski - Halle aux grains à Toulouse - 11/01/2025

Tarmo Peltokoski

Nommé à la tête de l’un des plus beaux orchestres de l’Hexagone jusqu’en 2029, le jeune chef finlandais Tarmo Peltokoski (né en 2000) a choisi de faire découvrir au public toulousain la musique de Vaughan Williams, pour le moins méconnue en France. Une intégrale discographique des symphonies, pour rien moins que Deutsche Grammophon, est prévue pour accompagner les concerts donnés sur plusieurs années, dans l’excellente acoustique de la Halle aux grains. On ne peut que se réjouir de cette initiative consistant à faire connaître un compositeur essentiel, scandaleusement ignoré en France, malgré quelques tentatives isolées, notamment l’excellente monographie de Marc Vignal éditée en 2015 chez Bleu Nuit ou le concert donné au Festival Radio France Occitanie Montpellier en 2022, avec la regrettée Jodie Devos en soliste.

On retrouve précisément la toute première symphonie de Vaughan Williams pour lancer cette intégrale : il s’agit là d’un ouvrage grandiose, parmi les plus populaires de son auteur, régulièrement donné outre‑Manche. Le Britannique a attendu ses 38 ans pour enfin dévoiler un ouvrage longuement travaillé et remis sur le métier, signe de son exigence parfois intransigeante, comme le prouve le nombre considérable d’œuvres détruites lors de cette première période (a contrario de son ami Gustav Holst, dont le premier opéra « wagnérien » vient d’être donné en première mondiale à Sarrebruck, voilà quelques semaines. Vaughan Williams met à contribution son intérêt pour les chansons populaires en composant des mélodies parmi les plus inspirées de cette période de recherche d’un style personnel. Les parties plus intimistes de la symphonie, dévolues aux solistes, leur sont en partie redevables, tandis que le souffle majestueux et souvent tempétueux, quasi brucknérien par endroits dans son alternance de crescendo/decrescendo, sollicite le chœur tout du long.

On est d’emblée saisi par le début spectaculaire, qui prend aux tripes en plaçant le chœur au centre de l’attention par la scansion entêtante de l’hymne à la mer. Le deuxième thème, plus dansant et sautillant, est admirablement contrasté par Peltokoski, qui privilégie la souplesse des transitions, en un élan aérien et aux tempi vifs. Toutes lourdeur ou pompe sont soigneusement écartées par le prodige finlandais, attentif aux moindres détails. C’est là tout un spectacle de le voir s’enflammer sur son podium, comme si sa vie en dépendait ! Rien de factice dans cette posture, tant on sent une sincérité dans cet engagement de tous les instants, qui sait s’assagir dans les parties apaisées pour faire ressortir d’infinies nuances, en allégeant les textures dans les piani.


On reste bluffé par l’excellence des musiciens, très présents dans les parties virtuoses, notamment les superbes attaques des cordes chauffées à blanc pour répondre aux assauts péremptoires des cuivres. Quel plaisir de ressentir physiquement les ruptures dans les verticalités éruptives assénées par les timbales, dont les ondes se propagent jusqu’à notre siège, situé à proximité ! La douceur éthérée des bois n’est pas en reste dans les passages nocturnes, où Vaughan Williams fait valoir une hauteur de vue bienvenue. En fin de soirée, l’Orchestre du Capitole réserve à son chef une bronca amplement méritée, manifestement conquis en peu de temps par ses qualités artistiques : la précision du geste, toujours au service d’une vision claire et déterminée, porte un enthousiasme d’un éclat maîtrisé, sans pathos excessif. La salle comble lui fait un accueil tout aussi vibrant au moment des saluts, alors que Peltolski montre la partition au public, tout en dévoilant avec malice des chaussettes aux couleurs du Royaume‑Uni.

Les applaudissements se tournent aussi vers le chœur basque Orfeón Donotiarra, dont le niveau qualitatif se situe toutefois un cran en dessous par rapport à l’orchestre. On est ainsi déçu par les attaques un rien trop molles, parfois peu justes, notamment chez les hommes. On note un placement sous le balcon qui étouffe quelque peu les rares velléités de virtuosité, là où l’on perçoit davantage les interventions plus sensibles. C’est bien dans ces parties que le chœur convainc en premier lieu, de même que les solistes superbes réunis pour ce concert, très attentifs à la diction. On ne pouvait rêver meilleur interprète que Simon Keenlyside pour ce répertoire, en maître de l’élégance des phrasés, de même que la solide Chen Reiss, tout aussi poignante dans l’éloquence sereine.

samedi 4 janvier 2025

« Grisélidis » de Jules Massenet - Jean-Marie Zeitouni - Disque Palazzetto Bru Zane

 

Les équipes du Palazzetto Bru Zane poursuivent leur exploration du legs lyrique considérable et protéiforme de Massenet, en exhumant la rare fantaisie médiévale Grisélidis (1901). Après les versions de concert données à Paris et Montpellier, on retrouve l’ouvrage gravé dans la collection de livre‑disques « Opéra français », toujours aussi richement documentée dans ses textes de présentation et son iconographie. Il faut dans un premier temps passer sur l’ineptie du livret pour savourer toute l’expression lumineuse de Massenet, qui semble inspiré de bout en bout par ce conte drolatique. L’économie de moyens de l’orchestration, harmoniquement délicieuse et raffinée, fait ainsi la part belle à l’inspiration mélodique dans les passages romantiques en s’opposant admirablement aux savoureuses diableries comiques.

C’est bien le personnage du diable et sa coloration musicale, aux verticalités agiles et frémissantes, qui fait tout le prix de cet ouvrage aussi fluide que varié. Comme à l’habitude, Bru Zane met l’accent sur la prononciation, en choisissant des chanteur rompus en ce domaine. On ne pouvait sans doute rêver meilleur interprète que Tassis Christoyannis, qui fait oublier un timbre de plus en plus charbonneux pour jouer un désopilant diable d’opérette, aussi roublard pour échapper à sa femme que vil tentateur pour faire plier la droiture de Grisélidis. En dehors de la superlative Antoinette Dennefeld (Fiamina), au rôle essentiellement théâtral, Vannina Santoni (Grisélidis) se distingue par l’élégance de ses phrasés, d’une parfaite homogénéité sur toute la tessiture. Le solide Thomas Dolié n’est pas en reste dans le rôle du Marquis, mais c’est peut‑être plus encore Julien Dran qui séduit par la clarté de son timbre et son émission souveraine. Tous les seconds rôles sont parfaitement distribués, tandis que le chef québécois Jean‑Marie Zeitouni se joue de toutes les variations d’atmosphère sans ostentation, en tirant le meilleur de l’Orchestre national Montpellier Occitanie (desservi, toutefois, par une captation un peu lointaine).