Château d'Hardelot |
«Les Anglais reviennent!»: c’est par cette sentence bien laconique qu’un
membre de l’Office de tourisme de Boulogne-sur-Mer résumait l’une des
principales tendances de ce début d’été dans la charmante
sous-préfecture du Pas-de-Calais. Si la ville basse reconstruite dans
les années 1950 reste bien connue des amateurs du cinéma d’Alain Resnais
– qui en fit le lieu de l’un de ses films les plus connus, Muriel ou le temps d’un retour,
Boulogne accueille chaque année de nombreux curieux attirés par son
exceptionnel Centre national de la mer «Nausicaá» ou par sa ville
fortifiée parfaitement préservée dans les hauteurs. L’imposante
basilique vient tout juste de bénéficier d’une parfaite restauration de
sa superbe crypte – la deuxième plus vaste de France après le Panthéon
–, l’ensemble de l’espace muséal richement doté autour des collections
religieuses et archéologiques du site ayant été repensé.
Si une importante colonie anglaise a étoffé depuis plusieurs siècles la
vie sociale et culturelle locale, attirant régulièrement Charles
Dickens, le château d’Hardelot voisin (à peine dix minutes en voiture)
permet de mesurer l’importance de ce brassage particulièrement
vivifiant, incarné par la création en 2009 du Centre culturel de
l’Entente cordiale, dédié aux croisements culturels féconds entre nos
deux pays. Si le manoir reconstruit au XIXe siècle dans le plus pur
style élisabéthain mérite à lui-seul une visite par l’exubérance de son
architecture, son histoire mouvementée, ou la richesse d’un intérieur en
grande partie constitué par le Mobilier national, une halte au
«Midsummer Festival» doit impérativement être faite, tant sa
programmation diversifiée et exigeante convient à tous les publics.
En ce dernier week-end de festival, l’américain Paul O’Dette nous offrait à l’heure du tea time un délicieux récital autour du luth, prélude à l’événement majeur du week-end, la recréation de la Marie Stuart
de Rodolphe Lavello (1842-1914). Cet opéra créé à Rouen en 1895 et
jamais repris ensuite, est l’œuvre d’un compositeur italien totalement
inconnu ayant fait toute sa carrière en France, sans jamais parvenir à
obtenir les faveurs d’une création parisienne (comme Chausson et son Roi Arthus,
notamment). A l’instar de l’œuvre homonyme de Donizetti, représentée
tout récemment au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, le sujet
anglo-écossais inspiré du drame de Schiller tourne autour de la rivalité
fatale entre deux reines. Mais là où son célèbre aîné belcantiste
imposait un long et impressionnant affrontement entre les deux femmes,
Lavello réduit cet attendu à une scène plus courte, dramatiquement moins
forte. Cette œuvre plaisante s’avère un rien répétitive en son début,
Lavello multipliant les mélodies à la manière de Gounod. Seules les
dernières scènes s’animent d’un impact dramatique percutant, y compris
au niveau de l’accompagnement instrumental, plus travaillé.
On doit aux chaleureux et passionnés frères Dratwicki l’origine de cet
audacieux projet, que ce soit Alexandre, pour le Palazzetto Bru Zane –
Centre de musique romantique française, et Benoît, pour le Centre de
musique baroque de Versailles. Si la partition en cinq actes et environ
trois heures de musique a été réduite de moitié, resserrant l’action
autour de la seule rivalité royale, cette représentation a permis de
découvrir l’œuvre en une adaptation pour quatuor avec piano – seule la
partition pour piano et voix étant à ce jour existante. C’est surtout le
parfait plateau vocal réuni qui impressionne tout au long de la
représentation, même si l’on pourra évidemment noter ici et là quelques
réserves, notamment un Mathias Vidal (Mortimer) trop en voix pour un
espace aussi restreint et roulant curieusement les r en début
d’opéra. Si Katia Vellétaz peine à incarner la Reine vengeresse avec sa
voix claire, on lui reprochera surtout une diction trop approximative. A
ses côtés, Virginie Pochon impressionne en Marie Stuart, imprimant une
force de caractère intérieure vibrante, bien épaulée par l’Anna d’Aurore
Ugolin, dont la voix au timbre agréable se projette bien. Outre un
toujours impeccable Alain Buet (Lord Burleigh), Thomas Dolié se
distingue dans son rôle important de Leicester, toujours éloquent et
disposant aisément d’un très beau timbre dans les graves.
On retrouve ensuite l’excellent baryton français accompagné du Quatuor
Giardini dans le jardin d’hiver voisin, écrin chaleureux à l’acoustique
idéale pour un délicieux programme de mélodies françaises. Cet after
surprend par un inhabituel panachage de courtes œuvres de Dubois, Hahn,
Gounod et David entrecoupées de savoureuses lectures des frères
Dratwicki autour de saillies de critiques éminents (dont Berlioz)
s’interrogeant sur la personnalité des chanteurs ou les tics de mise en
scène. Une soirée qui permet de revisiter les clichés attachés aux
compositeurs ici représentés, que tentent de réhabiliter nos jumeaux
aussi militants qu’érudits.
Reste enfin à préciser que la manifestation musicale estivale va
s’enrichir l’an prochain d’une nouvelle salle construite dans le style
élisabéthain, à l’instar du célèbre Globe Theatre shakespearien. Cet
équipement de près de 400 places, tout de bois revêtu, viendra remplacer
la salle éphémère installée chaque été dans les jardins du château.
Réalisé par le studio d’architecture Andrew Todd, ce projet a été
présenté l’an passé à rien moins qu’Elisabeth II lors de sa visite en
France, suscitant l’enthousiasme de quelques grands metteurs en scène –
tel Peter Brook – déjà attirés par ce qui s’annonce comme une superbe
réussite architecturale et acoustique. De quoi fêter dignement les sept
ans d’existence du «Midsummer Festival» et permettre l’organisation
d’une saison musicale et théâtrale pérenne dès avril 2016.
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