Quel bonheur de redécouvrir Into the Woods (1986), l’une des plus
parfaites réussites de Stephen Sondheim, à l’occasion de la nouvelle
production présentée en tournée à travers toute la France par
l’association La Clef des chants! Peu de temps après la création
française donnée en 2014
au Théâtre du Châtelet, c’est là l’occasion d’approfondir la
connaissance de l’un des grands maîtres de la comédie musicale
américaine. On ne sera pas surpris de voir se conclure ce périple à
l’Opéra de Toulon, tant cette grande maison soutient depuis plusieurs
années ce répertoire – notamment Sweeney Todd, du même Sondheim, déjà présenté en 2016 avec succès dans la préfecture du Var.
Into the Woods est la deuxième collaboration avec le génial librettiste James Lapine, après la réussite de l’évocation du peintre George Seurat dans la comédie musicale Sunday in the Park with George, couronnée par le prix Pulitzer en 1985. Les deux hommes s’attaquent cette fois à l’interprétation des contes de fées, dans la lignée de l’ouvrage fondateur de Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées (1976), en élaborant un livret d’une audace folle, qui mélange plusieurs récits bien connus: Cendrillon, Raiponce, Jacques et le Haricot magique et Le Petit Chaperon rouge. S’il faut s’accrocher au rythme foisonnant du début, qui brouille les pistes à l’envi en faisant interagir les personnages d’histoires différentes, on s’habitue rapidement à ce puzzle aux enjeux passionnants. La référence à l’intrigante comptine Promenons-nous dans les bois permet de comprendre combien la forêt représente le creuset symbolique des peurs enfantines, parfois non résolues à l’âge adulte. C’est bien ce passage entre les deux âges auquel s’intéresse ce brillant livret, en s’adressant aux parents castrateurs, incapables d’affronter leur propres démons, tout en prenant le risque de transmettre ces freins à leurs enfants, au risque de leur briser les ailes
La seconde partie de l’ouvrage surprend plus encore en réunissant les
protagonistes face à la peur d’une menace diffuse, incarnée par une
énigmatique géante, en forme de métaphore de nos manquements individuels
(notamment les alibis que nous élaborons pour nous donner bonne
conscience), mais également de notre lâcheté sociale. Dans ce
foisonnement qui frise plusieurs fois l’absurde, on pense bien
évidemment aux Géants de la montagne de Pirandello et à la peur
du conflit guerrier sous-jacent, quand d’autres ont voulu voir une
représentation de l’épidémie de sida, à laquelle chacun voudrait pouvoir
échapper égoïstement sans se soucier de son voisin. Le livret donne une
place à peu près égale à chacun des rôles, en un flot musical quasi
continu, qui lorgne parfois vers la musique minimaliste avec ses
scansions obsédantes, tout en faisant une place aux couleurs de
l’orchestre. Samuel Sené conduit avec une belle maîtrise un excellent
Orchestre de l’Opéra de Toulon, notamment les vents, seuls les cuivres
ratant quelques rares attaques.
Into the Woods est la deuxième collaboration avec le génial librettiste James Lapine, après la réussite de l’évocation du peintre George Seurat dans la comédie musicale Sunday in the Park with George, couronnée par le prix Pulitzer en 1985. Les deux hommes s’attaquent cette fois à l’interprétation des contes de fées, dans la lignée de l’ouvrage fondateur de Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées (1976), en élaborant un livret d’une audace folle, qui mélange plusieurs récits bien connus: Cendrillon, Raiponce, Jacques et le Haricot magique et Le Petit Chaperon rouge. S’il faut s’accrocher au rythme foisonnant du début, qui brouille les pistes à l’envi en faisant interagir les personnages d’histoires différentes, on s’habitue rapidement à ce puzzle aux enjeux passionnants. La référence à l’intrigante comptine Promenons-nous dans les bois permet de comprendre combien la forêt représente le creuset symbolique des peurs enfantines, parfois non résolues à l’âge adulte. C’est bien ce passage entre les deux âges auquel s’intéresse ce brillant livret, en s’adressant aux parents castrateurs, incapables d’affronter leur propres démons, tout en prenant le risque de transmettre ces freins à leurs enfants, au risque de leur briser les ailes
Sinan Bertrand et Dalia Constantin |
Olivier Bénézech se saisit avec maestria de ce maelstrom, proposant une
scénographie de toute beauté (malgré un abus des fumigènes), à la fois
moderne dans l’épure et variée dans ses différentes atmosphères – autour
de costumes contemporains chics et colorés, notamment pour les rôles
travestis. Les différents tableaux placés en fond de scène, dans un
espace volontairement réduit, donnent logiquement à voir les personnages
dans une situation d’étouffement, là où la représentation de la forêt
envahit tout le plateau pour évoquer l’espace des possibles – bref le
monde du dehors, inconnu et effrayant, qu’il faut nécessairement
affronter pour quitter le nid douillet parental. Très dynamique, la
direction d’acteur est l’un des must de ce spectacle, toujours
passionnant dans les entrecroisements virtuoses entre les protagonistes.
Le plateau vocal réuni s’avère globalement satisfaisant, même s’il
souffre d’un décalage entre les interprètes venus du théâtre et ceux
plus aguerris avec les prouesses vocales. Ainsi du bouleversant Jérôme
Pradon, qui impressionne par sa justesse et sa capacité à donner du sens
à la moindre syllabe, compensant ainsi une émission peu charnue. On
fera le même reproche à la voix fluette de Sinan Bertrand, son ancien
collègue de la truculente comédie musicale Le Cabaret des hommes perdus
en 2006, qui montre toutefois davantage d’agilité dans l’aigu. Avec le
parfait Bastien Jacquemart, les trois hommes font toutefois partie des
satisfactions de la soirée. Si Dalia Constantin est la plus à l’aise au
niveau vocal, autour de phrasés veloutés, on aime moins le timbre
nasillard et les problèmes de souffle de Charlotte Ruby.
On passera aussi sur la technique approximative de Grégory Garell, même s’il parvient à se montrer touchant dans ses fragilités, tandis que Jasmine Roy (Mrs. Baker) impose son timbre grave superbe, sans pouvoir faire oublier quelques décalages avec la fosse, en début de représentation. Si Scott Emerson fait valoir une énergie survitaminée, son accent prononcé réduit l’impact de son rôle de narrateur, alors qu’Alissa Landry compose une sorcière solide mais qui manque de noirceur, en raison de capacités dramatiques moindres par rapport à ses partenaires.
Jérôme Pradon et Charlotte Ruby |
On passera aussi sur la technique approximative de Grégory Garell, même s’il parvient à se montrer touchant dans ses fragilités, tandis que Jasmine Roy (Mrs. Baker) impose son timbre grave superbe, sans pouvoir faire oublier quelques décalages avec la fosse, en début de représentation. Si Scott Emerson fait valoir une énergie survitaminée, son accent prononcé réduit l’impact de son rôle de narrateur, alors qu’Alissa Landry compose une sorcière solide mais qui manque de noirceur, en raison de capacités dramatiques moindres par rapport à ses partenaires.
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