vendredi 1 novembre 2019

Concert de l'Orchestre national de France - Cornelius Meister - Maison de la Radio - 31/10/2018

Cornelius Meister
Plus jeune directeur musical d’Allemagne au moment de sa nomination à Heidelberg en 2005, Cornelius Meister (né en 1980), comme beaucoup de chefs, semble ignorer la redécouverte des versions primitives des symphonies de Bruckner engagée par Eliahu Inbal (voir le coffret intégral enregistré entre 1982 et 1991 et paru chez Teldec). Si le chef israélien continue de défendre les audaces de la version originelle de la Troisième Symphonie (1873), notamment à Paris, à l’instar de Yannick Nézet-Séguin avec l’Orchestre Métropolitain ou la Staatskapelle de Dresde, la plupart des autres chefs alternent entre la version intermédiaire de 1877 (raccourcie dans tous ses mouvements, hormis l’ajout d’une coda au troisième) ou l’ultime remords de 1889, qui amputa plus encore l’ouvrage. Choisie par Cornelius Meister, cette dernière version d’une heure environ gagne en efficacité par rapport à 1873 ce qu’elle perd en équilibre et en modernité: de nombreux passages «nébuleux» sont supprimés au profit d’un agencement plus lisse. Le finale, dans cette mouture, apparaît comme le point faible de la symphonie.

D’emblée, Meister impose une concentration, autant à ses troupes qu’au public, en marquant une pause prolongée, immobile et imperturbable, avant de débuter la symphonie, sans l’aide de la partition devant lui. Il en sera de même entre chaque mouvement, comme un cérémonial indispensable pour pénétrer les mystères insondables de Bruckner. La mise en place d’une précision chirurgicale impressionne tout autant, permettant de distinguer chaque opposition de pupitres, sans qu’aucun ne cherche à prendre le pouvoir sur les autres: les phrasés harmonieux obtenus donnent ainsi une impression de douceur assez inhabituelle dans ce répertoire, en un climat vaporeux et envoûtant, sans attaques sèches. Les tempi assez modérés ne sont jamais traînants, tant le chef allemand porte un soin particulier aux transitions, tout en respectant chaque silence. Seuls quelques décalages entre contrebasses et trompette solo, peu avant la conclusion du premier mouvement, viennent ternir cette superbe prestation – rappelant combien les années ont passé depuis les mémorables concerts donnés par l’Orchestre national de France et Kurt Masur dans ce répertoire (voir notamment cette Troisième Symphonie en 2008).


L’Adagio permet de se délecter d’un art des crescendi toujours aussi bien délié dans la construction, sans pathos, mais s’étiole peu à peu en certains passages trop flottants. On note aussi un cafouillage dans les premiers violons, lorsque les interventions subdivisées du pupitre donnent à entendre des sonorités inégales, loin de la perfection en ce domaine de la soliste Sarah Nemtanu. Le tempo s’accélère avec le début du Scherzo, aux accents cinglants dans les passages cuivrés, admirablement contrastés avec l’élégance des parties dansantes, en un travail notable sur les couleurs. Le Finale débute sous les mêmes hospices, entre phrasés enchaînés très vite et excellence des pupitres – les trombones notamment. L’impression d’ensemble privilégie la fluidité, au service d’une interprétation équilibrée entre musique pure et émotion – même si on aimerait que le pathos soit un tout peu plus présent tout du long.

C’est précisément cet état d’esprit qui avait régné en première partie, Cornelius Meister nous donnant à entendre la rare ouverture de l’opéra Les Joyeuses commères de Windsor (1849) de Nicolai, contemporain de Mendelssohn trop tôt disparu à seulement 39 ans. On reconnaît la curiosité de Meister pour faire vivre un répertoire riche de sa diversité, comme l’avaient prouvé ses débuts parisiens en 2014 avec l’Orchestre de Paris, donnant à découvrir la musique de Heinrich Marschner (1795-1961) notamment. Avec Nicolai, l’introduction lente entame les débats avec douceur, avant de mêler les emprunts mendelssohniens piquants aux vents avec une légèreté bienvenue: la rupture n’en est que plus saisissante dans les parties verticales, appuyées ici en un élan haut en couleur digne d’Offenbach dans les scansions conclusives aux cuivres. On gagne toutefois en raffinement ce que l’on perd en expression mélodique.

 

Cette impression est confirmée dès les premières attaques viriles du Premier Concerto pour piano (1830) de Mendelssohn, une œuvre de jeunesse tour à tour virtuose et élégante (surtout dans le très beau mouvement lent). Premier prix du Concours Reine Elisabeth en 2010, Denis Kozhukin démontre d’emblée une maîtrise technique jamais prise en défaut, imposant un rythme endiablé en des accents félins. Pour autant, le Russe n’oublie jamais de distinguer d’infimes subtilités dans l’expression des nuances, qui rend son interprétation passionnante de bout en bout. Cette conception reçoit un parfait accord dans les accompagnements déterminés de l’orchestre, qui sait s’apaiser dans les délicatesses de l’Andante afin d’offrir un tapis soyeux du plus bel effet. Superbe de sensibilité intériorisée, Kozhukin impressionne par l’élévation de son inspiration, même s’il ne peut faire oublier les faiblesses du Finale. Le Russe conclut sa prestation par un très beau bis logiquement choisi parmi les Romances sans paroles de Mendelssohn.

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