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L'Auditorium Maurice-Ravel |
Pour fêter ses cinquante ans, l’Auditorium de Lyon propose jusqu’au
21 septembre une exposition relatant la naissance de ce bâtiment
emblématique du paysage lyonnais, dont on n’a pas fini d’admirer les
lignes brutalistes toujours aussi audacieuses. De nombreux documents
d’époque, des photos aux plans initiaux, relatent l’édification de ce
temple à la gloire du béton brut, dont l’intérieur a été rénové entre
1993 et 2002 pour en améliorer l’acoustique. On découvre que
l’Auditorium s’appelait à l’origine « Palais Maurice Ravel » pour
finalement choisir un nom moins pompeux, toujours en hommage au
compositeur français.
C’est à un passionnant programme autour des musiques du nord de l’Europe
que nous convie la cheffe norvégienne Tabita Berglund (née en 1989)
avec l’Orchestre national de Lyon. Sans aucun lien de parenté avec le
Finlandais Paavo Berglund, la jeune femme s’est d’abord consacrée à une
carrière de violoncelliste, avant de se tourner vers la direction, sous
la supervision, notamment, de son compatriote Ole Kristian Ruud.
Le concert débute avec un hommage à la compositrice Kaija Saariaho, disparue voilà deux ans, autour de la courte pièce Lumière et pesanteur (2009). Il s’agit d’une adaptation pour orchestre seul (sans instruments électroniques) de la huitième station de l’oratorio La Passion de Simone
(2006), d’après la vie et les écrits de la philosophe Simone Weil.
Dédié à Esa‑Pekka Salonen, infatigable défenseur de la musique de
Saariaho, ce court extrait fait valoir une infinie variété de subtilités
tissées en des atmosphères ambivalentes, à mi‑chemin entre sonorités
enchanteresses et morbides. Le début sinueux et sombre, marqué de
glissandi, met en valeur de rares percussions lumineuses, tout en
suspendant le temps d’un soyeux ensorcelant, admirablement rendu par les
phrasés félins et souples de Tabita Berglund.
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Tabita Berglund |
Après ce délice d’évocation éthérée, la Passacaille (1927) du Norvégien Ludvig Irgens‑Jensen (1894‑1969) sonne comme un coup de tonnerre autrement plus emphatique, en nous embarquant dans un passionnant élan virtuose, aux allures de poème symphonique. Les nombreuses mélodies enchevêtrées parcourent les groupes d’instruments en une science de l’écriture polyphonique dont l’aspect décousu trouve tout son sens dans ses chevauchements nerveux et vibrants. La battue souple et agile de Berglund évite toute lourdeur, en privilégiant allègement et vivacité. Cette œuvre tonale, admirable de mise en place ici, passionne par ses audaces contrapuntiques, dont le finale majestueux avec orgue rappelle un modèle évident, Jean‑Sébastien Bach.
Après l’entracte, les quatre légendes de Lemminkäinen (1896) de Sibelius font entendre une musique aux lignes plus délicatement ouvragées, composée peu de temps avant sa Première Symphonie
(1899). Il est intéressant de constater que Tabita Berglund s’intéresse
à nouveau à cette première manière encore tournée vers le romantisme,
elle qui a fait ses débuts en France en interprétant précisément cette
symphonie à Toulouse en 2022. Avec la suite Lemminkäinen,
Sibelius commence à se détourner du style opulent préféré par son
modèle Tchaïkovski ou son parfait contemporain Richard Strauss. Baignée
du son suave du cor anglais tenu par Eloi Huscenot, la célèbre pièce
consacrée au « Cygne de Tuonela » résonne comme un bijou de raffinement,
sans aucune mièvrerie, du fait du geste alerte de Berglund, qui
n’hésite pas à faire ressortir plusieurs détails au niveau des
contrechants. A l’image de la première partie du concert, cette volonté
de ne pas survaloriser la mélodie principale donne davantage de
modernité à cette musique, plus imprévisible sous cette battue. Toute la
vitalité de la pulsation rythmique est parfaitement rendue, grâce à un
orchestre manifestement ravi de se sentir entre de bonnes mains.
Le Finale (« Le Retour de Lemminkaïnen ») trouve un ton d’éloquence
péremptoire, au galop entraînant, que Berglund joue d’une traite. De
quoi finir le concert en trombe, suite aux ambiances plus nerveuses
(malgré un passage lunaire et plus « expérimental » à la caisse claire)
du mouvement précédent. Après ce concert très réussi, on se réjouit de
découvrir dès la mi‑mai la nouvelle saison de l’Orchestre national de
Lyon : espérons que le succès public du présent concert, au programme
qui sort des sentiers battus, saura engager les décideurs à poursuivre
sur le chemin de l’audace et de la curiosité.
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