Créée l’an passé à l’Opéra de Zurich, la production de La Veuve joyeuse imaginée par Barrie Kosky fait son retour avec un plateau vocal renouvelé pour les rôles principaux. Au-delà de la réussite visuelle du spectacle, le mélange d’énergie débridée et de mélancolie donne une profondeur inattendue au chef d’œuvre de Franz Lehar, qui crépite de mille feux sous la baguette inventive de Ben Glassberg. A savourer sans modération !
L’ancien directeur de la Komishe Oper de Berlin frappe encore un grand coup dans le domaine de l’opérette, lui qui a redonné ses lettres de noblesse à ce genre, en le dépoussiérant de tout statisme. D’emblée, le spectacle surprend en modifiant la première scène, dévolue à une Hanna plus âgée qui se remémore ses belles années : assise au piano, elle écoute un arrangement de La Veuve joyeuse au piano, interprété par Franz Lehar lui-même. Une mise en abîme évidemment saisissante, à la conclusion déchirante en fin de soirée, lorsque Hanna contemple le portrait du regretté Danilo, pour affronter un second veuvage.
Le happy-end ainsi refusé donne davantage de relief au destin tourmenté de l’héroïne, jadis entouré de prétendants ivres de sa beauté, comme de sa fortune : deux moteurs d’une farce haute en couleurs, qui moque les travers de la haute société, entre cupidité et faux-semblants. L’originalité du livret tient dans le refus têtu de Danilo de céder aux avances de son ancienne promise Hanna : Kosky transcende leurs différents duos d’une sensualité chorégraphique touchante et subtile, comme un jeu du chat et de la souris, délicieusement facétieux. Le minimalisme des décors bénéficie d’une direction d’acteurs étourdissante, où chaque personnage secondaire semble vivre d’une personnalité propre, à chaque fois rehaussée par l’énergie inépuisable des danseurs, très présents tout du long. On aime aussi la transposition dans les années 1920, qui permet à Kosky d’exhiber des costumes grandioses, à même de figurer l’insouciance de la période d’avant-guerre. Chaque tableau, de l’ambassade aux appartements de l’héritière, avant l’évocation des grisettes parisiennes, montre la qualité du travail en la matière, qui laisse à penser que la confection des costumes a bénéficié d’un budget illimité. L’autre grande réussite de la soirée vient de la direction aussi pétillante que du champagne, de Ben Glassberg, qui fait des débuts réussis à Zurich. La variété de l’inspiration de Lehar, entre l’énergie rythmique des premiers tableaux, jusqu’aux élans plus folkloriques au II, sait aussi trouver le chemin des scènes plus intimes, qui lorgnent vers Puccini.
Le plateau vocal réuni pour cette reprise ne se situe malheureusement pas au même niveau d’excellence, tout en assurant l’essentiel. On est surtout déçu par le pâle Andrew Owens (Camille de Rosillon), qui peine à passer la rampe par rapport à sa partenaire Anastasiya Taratorkina (Valencienne), d’une belle rondeur d’émission. Malgré un timbre fatigué dans l’aigu, Martin Gantner compose un Danilo saisissant de vérité, d’une grande finesse théâtrale. Également parfaite en ce domaine, Vida Miknevičiūtė (Hanna) montre une solidité technique sans faille, qui ne parvient pas à faire oublier un aigu peu harmonieux. On préfère la truculence roborative des seconds rôles, souvent désopilants à l’image des parfaits Michael Kraus (Mirko) et Barbara Grimm (Njegus).
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