Directeur du Châtelet depuis 2023, Olivier Py, 59 ans, frappe un grand coup en recentrant son institution sur l’une de ses missions premières, celle d’incarner le « théâtre musical de la ville de Paris ». Pour illustrer cette volonté, l’un de ses premiers projets phares consiste à présenter la pièce Peer Gynt telle qu’elle a été conçue lors de sa création scénique en 1876, avec l’adjonction des musiques commandées à Edvard Grieg. Une telle initiative a déjà été menée en France, comme à Limoges en 2017 ou à Lyon en 2022, mais à chaque fois en réduisant fortement la matière dramatique, afin d’élaborer un spectacle d’environ deux heures, resserré sur la musique. Pour parvenir à la durée plus conséquente d’environ 3 heures 50 (avec un entracte), Olivier Py a choisi de conserver la quasi‑totalité des scènes théâtrales, desquelles il a retiré les spécificités propres au contexte norvégien. Dans le même temps, il a traduit les textes des chansons en français, tout en modernisant les dialogues parlés – à chaque fois sans excès.
Face à ce soin pointilleux pour faire vivre le texte au plus près des
intentions d’Ibsen et de Grieg, Olivier Py nous réserve une de ses
directions d’acteur les plus intenses qu’il nous ait été donné de voir
depuis longtemps. C’est là un choix heureux, tant le premier
chef‑d’œuvre d’Ibsen peut dérouter par son contenu foisonnant, qui narre
le parcours initiatique d’un anti‑héros égoïste, vantard et agaçant.
Dans ce récit en partie autobiographique au début, Ibsen montre une face
sombre qui le fait s’interroger sur le sens de la vie et de sa présence
au monde : une quête philosophique souvent douloureuse pour s’accepter
tel que l’on est, avec ses défauts et incapacités. Pour autant, ces
questionnements sous‑jacents sont camouflés sous une multitude de
saynètes populaires, drôles et souvent grivoises, que Py fait vivre de
son imagination débridée et irrévérencieuse.
C’est peu dire que Bertrand de Roffignac tient là un des rôles de sa
vie, tant Py lui demande un investissement physique de tous les
instants, entre verbe haut, regards hallucinés et cavalcades dans tous
les sens. Toute la folie autodestructrice de l’éternel insatisfait,
comme du joyeux noceur de l’instant qu’est Peer Gynt trouve une vitalité
survitaminée, parfois éprouvante dans sa répétition obstinée. Les
quelques moments de répit permettent à la mise en scène de bien
identifier les moments‑clés de l’action, telle que la fascinante
rencontre avec Solveig, retrouvée tout au long du périple comme un ange
gardien. Bertrand de Roffignac est accompagné par toute une fine équipe
de comédiens-chanteurs, toujours sur le fil du surjeu (comme demandé par
la mise en scène), à l’instar des expressifs Damien Bigourdan et Marc
Labonnette. On aime aussi la touchante Raquel Camarinha (Solveig), tout
comme le jeu incarné et lyrique de Céline Chéenne (la mère de Peer).
Musicalement, on est également à la fête, tant l’Orchestre de chambre de
Paris trouve des délices de raffinement sous la baguette de la cheffe
estonienne Anu Tali, aux tempi mesurés et toujours au service de l’élan
narratif. Le seul motif de regret est leur placement en arrière‑scène,
ce qui occasionne une sonorisation excessive, toujours regrettable pour
ce type de salle.
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