vendredi 14 mars 2025

« La Belle au bois dormant » de Piotr Illitch Tchaïkovski - Rudolf Noureev - Opéra Bastille à Paris - 13/03/2025

 

Créé à l’Opéra national de Paris en 1989, puis reprise constamment ensuite (la dernière reprise en 2014), La Belle au bois dormant de Piotr Illitch Tchaïkovski fait son retour à l’Opéra Bastille pour 29 représentations, dont plusieurs déjà complètes. Il faut donc réserver au plus vite pour avoir la chance d’assister à ce spectacle, le tout dernier chorégraphié par Rudolf Noureev en tant que directeur du Ballet de l’Opéra de Paris, entre 1983 et 1989.

Parmi les chefs d’oeuvre de Tchaïkovski, La Belle au bois dormant figure en bonne place, tant le compositeur russe montre une nouvelle fois son affinité avec les sortilèges du divertissement dansé. Ce deuxième ballet, composé en 1890 entre Le Lac des Cygnes (1877) et Casse-Noisette (1892), reste desservi par son argument très mince, mais bénéficie d’une inspiration musicale admirablement variée entre les actes, des effluves dramatiques du I aux atmosphères plus nocturnes du II, avant une dernière partie plus légère, dédiée à des raffinements délicatement ciselés, dont les recherches de sonorités font penser à son équivalent dans Casse-Noisette.

Souvent invité à diriger le ballet à Bastille, le chef estonien Vello Pähn cherche à éviter toute grandiloquence, en privilégiant couleurs et mise en place. A ce compte-là, il réussit mieux les deux derniers actes, là où le premier sonne trop extérieur. Quoi qu’il en soit, on savoure les sonorités enchanteresses de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, toujours très affuté en ce domaine, à l’image du premier violon (Frédéric Laroque) particulièrement sollicité au II, dans un passage concertant très exigeant.

On retrouve le spectacle imaginé par Rudolf Noureev avec des sentiments mêlés, même s’il faut évidemment recontextualiser ses apports, en 1989, pour l’apprécier pleinement. L’idée du Russe est avant tout de renforcer la présence masculine, à qui la chorégraphie initiale de Marius Petipa (1818-1910) avait laissé peu de place. Cette tradition du XIXème siècle a été remise en cause par de nombreux danseurs éminents du siècle suivant, Noureev en tête. Le rôle du Prince Désiré gagne ainsi en consistance, avec pas moins de quatre variations au lieu d’une, dont s’empare le danseur étoile Guillaume Diop (né en 2000) avec une grâce agile et féline. Applaudi dès son entrée en scène, comme l’autre étoile Bleuenn Battistoni (née en 1999), le jeune homme au regard lumineux fait déjà figure de star, lui qui vient de faire la couverture du magazine Télérama. On aime surtout sa capacité à incarner le Prince solitaire au début du II, entre fausse nonchalance et mélancolie. Son duo avec la délicate Bleuenn Battistoni fonctionne très bien, tant les partenaires semblent au diapason d’une complicité bienvenue. Les ports de bras et mouvements soyeux de Battistoni sont un pur ravissement, que l’on ne se lasse pas d’admirer. Il lui faut toutefois parvenir à donner ce supplément d’âme et de conviction qui font la marque des plus grandes, pour nous emporter plus encore. A leurs côtés, outre un duo de chats délicieux d’espièglerie, on se délecte du gracieux Chun-Wing Lam (L’Oiseau bleu), étourdissant de facilité dans ses pas aériens.

Noureev a précisément réduit la part accordée aux personnages des autres contes, présents dans la dernière partie, en supprimant les rôles du Petit chaperon rouge, du Petit Poucet et de Cendrillon. Si l’idée est de coller au plus près de l’original du conte de Perrault, en confiant le rôle de Carabosse à une femme (là où Petipa avait joué la fantaisie d’une interprétation par un travesti), le spectacle gagne en sérieux ce qu’il perd en variété. Aucun humour ne vient ainsi illuminer la première partie, ni dans les rôles minorés du maître de cérémonie Catalabutte ou de la fée Carabosse, ce que d’autres chorégraphes savent mettre bien davantage en valeur au même moment. On pense notamment à Márcia Haydée, dont le spectacle créé pour le  ballet de Stuttgart en 1987 a été repris ensuite dans le monde entier, avec un grand succès (notamment en 2023 à Prague). Le spectacle réglé par Noureev a pour lui ses costumes d’un luxe inouï, ainsi que ses innovations pour les mouvements étourdissants du corps de ballet dans les compositions d’ensemble, qui s’entrelacent en petits groupes sans cesse renouvelés, avec une attention portée aux mouvements des mains.

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