Mikhaïl Pletnev |
Quel plaisir de retrouver Mikhaïl Pletnev (né en 1957) en tant que
soliste après plusieurs années occupées principalement à diriger «son»
Orchestre national de Russie! On avait oublié à quel point ce pianiste
sait tout faire, nous embarquant immédiatement dans une interprétation
très personnelle du Deuxième Concerto pour piano (1901) de
Rachmaninov. C’est là la marque des plus grands: savoir nous faire
redécouvrir un concerto que l’on pensait connaître par cœur, lui
imprimant sa marque tout du long au moyen de phrasés parfois déroutants,
mais toujours habités. Dès son entrée en scène nonchalante et sans
sourire pour le public (pourtant venu en nombre), le pianiste russe en
impose avec un toucher minimaliste. On est loin des pianistes qui
croulent sous les effets visuels démonstratifs! A l’enveloppe sobre
répond un jeu des plus sûrs, qui prend volontiers le contrepied des
interprétations traditionnelles en mettant en avant quelques inattendus
contrechants, en une noblesse pudique, volontairement raide.
Autour de lui, l’accompagnement serein et allégé privilégie un tempo qui respire, mettant admirablement le soliste en valeur. Pour autant, il ne faut pas s’y laisser prendre, tant l’orchestre sait rugir avec le soliste de manière abrupte dans les tutti – une manière de rappeler que tout ici est possible, surtout si Pletnev en a décidé ainsi. Qu’importe, la maîtrise absolue du soliste sait nous faire accepter ce piano imprévisible, déjà retourné à sa versatilité après l’emphase. Le début du deuxième mouvement continue de surprendre avec une main gauche en sourdine, donnant au thème principal des allures plus fuyantes. De ce ton désabusé se dégage la clarinette admirable, tandis que Pletnev se met en retrait. Cette lecture refuse tout lyrisme et pathos, en un geste certes cérébral, mais qui parvient à émouvoir dans son parti pris jusqu’au-boutiste. Le finale poursuit dans cette voie en révélant des détails incroyables de finesse dans les phrasés, mais cette optique analytique fonctionne moins bien dans ce mouvement entraînant. Ca n’est là qu’un détail tant cette réserve n’enlève rien au plaisir de se laisser faire par un Pletnev en grande forme, logiquement ovationné par le public. En bis, le maître russe interprète le Premier des Préludes de l’Opus 23 (en fa dièse mineur) avec le même élan, achevant de nous émerveiller.
Alain Altinoglu |
En début de concert, la brève Ouverture de l’opéra La Khovanchtchina
(1872-1880) de Moussorgski avait permis à l’Orchestre national de
Russie de se chauffer sous la baguette attentive d’Alain Altinoglu,
faisant ressortir le frémissement des cordes et les interventions
primesautières des bois. Après l’entracte, on retombe malheureusement
bien vite des sommets de la première partie, la Cinquième Symphonie
(1937) de Chostakovitch résonant en une lecture d’une parfaite tenue,
mais finalement bien trop lisse pour emporter l’auditoire. L’adéquation
entre le chef français et l’orchestre russe ne semble pas aller
d’évidence, tant le beau son recherché par l’un est mis en péril par les
difficultés techniques des pupitres de cordes (seconds violons à la
peine au début du troisième mouvement, puis violoncelles en délicatesse
dans l’aigu), sans parler des cuivres aux interventions bien prosaïques.
Si les bois rehaussent l’ensemble, Altinoglu allège par trop la
texture, surtout dans les graves, quasi inaudibles. Le refus du pathos
et de l’émotion est certes envisageable, mais n’accouche ici que d’une
lecture tiède, sans tension dans les passages lents et trop cravachée à
l’inverse dans les accélérations. L’actuel directeur musical de la
Monnaie, à Bruxelles, a-t-il quelque chose à nous dire dans cette
musique? On en doute, tant ses prestations en tant qu’accompagnateur ou
chef lyrique convainquent davantage en comparaison.
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