vendredi 19 avril 2019

« Der Freischütz » de Weber - Jossi Wieler et Sergio Morabito - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 17/04/2019

Photo : Klara Beck
Il faut aller en Allemagne pour découvrir la version originale avec dialogues parlés du Freischütz de Weber – notre pays préférant le plus souvent la version de Berlioz avec récitatifs et ajout d’un ballet (notamment à l’Opéra-Comique en 2011 ou à Nice en 2013). On ne peut donc que se réjouir de découvrir ce joyau de l’opéra romantique qui inspira autant Wagner que Berlioz, deux fervents défenseurs de Weber.

La directrice générale de l’Opéra national du Rhin, Eva Kleinitz, choisit de confier la mise en scène de cet ouvrage aux expérimentés, mais peu connus en France, Jossi Wieler et Sergio Morabito. Ils travaillent ensemble depuis 1994, à l’instar d’un autre couple célèbre, Patrice Caurier et Moshe Leiser. Il s’agit de leurs débuts dans notre pays pour une nouvelle production – les deux hommes s’étant réservés ces dernières années pour l’Opéra de Stuttgart, là même où ils ont fondé leur amitié avec Eva Kleinitz, et ce avant la nomination de Jossi Wieler au poste prestigieux de dramaturge de l’Opéra de Vienne. Très attendus, leurs premiers pas ne convainquent cependant qu’à moitié, tant leur transposition contemporaine manque de lisibilité : il faudra ainsi lire leurs intentions afin de saisir pleinement les idées développées sur scène.

Si nos bucherons sont ici grimés en guerriers, c’est que l’action est censée se passer après la guerre de Trente ans, d’où une scène initiale en forme de bizutage pour le malheureux Max, risée de ses camarades. Traumatisés par le conflit, l’ensemble des personnages est tombé dans une déprime qui explique autant leurs visions (décors déformés, couleurs bizarres, visions d’animaux) que leur débit robotique et sans âme dans les dialogues parlés : l’idée est intéressante mais trop ennuyeuse sur la durée au niveau théâtral. L’esthétique jeu vidéo, aux beaux décors inspirés d’Alekos Hofstetter, joue aussi sur cette distanciation utile pour quitter les rivages d’une intrigue naïve : fallait-il cependant choisir des costumes aussi laids avec leurs couleurs bleu et orange criardes ? Si l’utilisation de la vidéo avec deux écrans en avant et en arrière-scène modernise l’action par ses effets de perspective saisissants dans la Gorge-aux-Loups, on est moins convaincu en revanche par l’ajout d’un drone, censé nous rappeler les dangers de la banalisation du recours à la robotisation à outrance : le lien avec les balles diaboliques est ténu, mais Morabito et Wieler osent tout pour dénoncer l’inhumanité des travers de nos sociétés modernes.


Face à cette mise en scène inégale, le plateau vocal réuni s’avère on ne peut plus satisfaisant en comparaison. Ainsi de la lumineuse Lenneke Ruiten (Agathe), à la petite voix idéale de fraicheur et de raffinement dans les nuances. Sa comparse Josefin Feiler (Aennchen) a davantage de caractère, brillant avec aisance dans les changements de registres. La déception vient du chant aux phrasés certes d’une belle noblesse de Jussi Myllys (Max), mais trop peu projeté dans le médium et l’aigu, avec un positionnement de voix instable dans les passages difficiles. Rien de tel pour David Steffens (Kaspar), le plus applaudi en fin de représentation, qui s’impose avec son chant vaillant à la diction assurée, le tout en un impact physique percutant. Si les seconds rôles sont tous parfaitement distribués, on notera la prestation frustrante de l’Ermite de Roman Polisadov, aux graves splendides de résonance, mais manifestement incapable d’éviter quelques décalages avec la fosse. Le choeur de l’Opéra national du Rhin livre quant à lui une prestation alliant engagement et précision de tous les instants, de quoi nous rappeler qu’il figure parmi les meilleurs de l’hexagone.

A la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse en grande forme (à l’exception du pupitre perfectible des cors), Patrick Lange fait des débuts réussis ici, faisant l’étalage de sa grande classe dans l’étagement et la finesse des détails révélés, en une direction finalement très française d’esprit. Les tempi respirent harmonieusement, en des couleurs dignes d’un ancien élève de Claudio Abbado, même si on aimerait ici et là davantage d’électricité pour oublier l’élégance et plonger à plein dans le drame. C’est ce palier que doit encore franchir l’actuel chef principal de l’Opéra de Wiesbaden pour rentrer dans le cercle très fermé des maestros d’exception.

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