Conçue en 2011 sous le mandat de Nicolas Joël, la production de La Force du destin
imaginée par Jean-Claude Auvray fait son retour à Paris en ce printemps.
Hasard du calendrier, l’Opéra de Londres a présenté récemment le même
ouvrage avec un trio star de rêve. Deux sopranos se succéderont à Paris dans le rôle de Leonara, Anja Harteros jusqu’au 18 juin puis Elena Stikhina
à compter du 22 juin.
Disons-le tout net, entendre Harteros dans ce
type de grand rôle est toujours un régal, et ce malgré quelques
imperfections vocales sur lesquelles on pourra s’arrêter – un
positionnement parfois instable dans l’aigu, audible dans les pianissimi
ou les accélérations surtout. Quoi qu’il en soit, quel plaisir de se
délecter de l’élan naturel de ses phrasés, de l’intelligence avec
laquelle chaque syllabe est interprétée en lien avec le sens du texte.
La soprano allemande est tout simplement bouleversante dans sa dernière
scène, longuement applaudie le soir de la première. C’est là une
différence majeur avec Brian Jagde (Alvaro) qui semble
davantage débiter un texte dans la première partie de l’ouvrage,
celle-là même où il se confronte à Harteros dans l’élan amoureux, se
montrant plus à l’aise ensuite dans l’intimité de la douleur ou la
répartie dramatique. Parmi le trio star, il est cependant le seul à
posséder l’impact physique du rôle, grâce à des aigus rayonnants
déployés avec une aisance confondante. Vivement applaudi à l’instar de
sa partenaire, il ne lui manque encore que des graves plus affirmés pour
convaincre totalement au niveau vocal.
A ses côtés, Carlo Cigni incarne un émouvant
Calatrava, dont le chant empli de noblesse est un régal de bout en bout.
On pourra évidemment souligner le timbre légèrement atteint de ce
chanteur désormais un peu âgé pour le rôle, mais sa classe évidente en
fait encore un interprète de tout premier plan. On soulignera également
l’excellent niveau réuni pour les seconds rôles, tous parfaits au
premier rang desquels les deux interprétations de caractère de Varduhi Abrahamyan (Preziosilla) d’une part, qui fait pétiller son timbre opulent avec bonheur, ou de Gabriele Viviani
(Melitone), à l’abattage comique impayable, tout en étant doté d’une
belle prestance vocale. Chapeau bas ! On notera également la solide
interprétation de Rafal Siwek (Guardiano), tout comme des choeurs de l’Opéra de Paris, manifestement bien préparés sous la direction de leur chef José Luis Basso. Autre grand motif de satisfaction avec le geste narratif et subtil de Nicola Luisotti,
ancien directeur musical de l’Opéra de San Francisco, qui fait chanter
l’Orchestre de l’Opéra de Paris en un ton léger et bondissant, sans
oublier de marquer les respirations en un beau sens des nuances.
La mise en scène imaginée par le chevronné Jean-Claude Auvray
joue la carte de l’épure en supprimant pratiquement tout décor,
s’attachant à caractériser l’atmosphère de chaque scène avec une
simplicité éloquente : le prologue donne ainsi à voir un intérieur
bourgeois représenté par un rideau en trompe l’oeil – rideau qui
s’effondre symboliquement dès lors que le parricide est commis. Les
protagonistes évoluent ensuite dans un univers encore plus dépouillé,
mettant en valeur leurs déplacements dynamiques, notamment au niveau des
scènes populaires ou dansées. On soulignera également l’attention à
chaque détail de la réalisation des costumes d’époque (l’époque de
Verdi, Auvray ayant choisi cette transposition), tout autant que des
éclairages d’une exceptionnelle variété. Les scènes au monastère, avec
un Christ immense pour seul décor, touchent autant par leur poésie
visuelle délicate que leur grande force émotionnelle. Assurément une
belle reprise à ne pas manquer pour les amateurs de ce grand ouvrage de
Verdi, ici très inspiré au niveau mélodique malgré un livret bien
maladroit.
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