La version française de Don Carlos 
semble faire un retour en force sur les scènes franco-belges, comme en 
témoignent les spectacles récemment produits à Paris, Lyon et Anvers – à chaque fois dans des mises en scènes différentes. Place cette fois à une nouvelle production très attendue de l’Opéra royal de Wallonie,
 qui relève le défi d’une version sans coupures, à l’exception du 
ballet, telle que présentée par Verdi lors des répétitions parisiennes 
de 1866. On le sait, avant même la première, l’ouvrage subira un 
charcutage on ne peut plus discutable afin de réduire sa durée totale 
(de plus de 3h30 de musique), avant plusieurs remodelages les années 
suivantes. La découverte de cette version “originelle” a pour avantage 
de rendre son équilibre à la répartition entre scènes politiques 
chorales et tourments amoureux individuels, tout en assurant une 
continuité louable dans l’inspiration musicale. A l’instar de Macbeth, 
Verdi n’hésita pas, en effet, à réécrire des pans entiers de l’ouvrage 
lors des modifications ultérieures, au risque d’un style moins homogène.
L’autre grand atout de cette production 
est incontestablement l’excellent plateau vocal réuni : le public venu 
en nombre ne s’y est pas trompé, entrainant une "ambiance des grands 
soirs", à l’excitation palpable. Très ému par l’accueil enthousiaste de
 l’assistance, Gregory Kunde n’aura pas déçu les 
attentes, et ce malgré d’infimes difficultés pour tenir une épaisseur de
 ligne dans les déclamations pianissimo au I. Pour autant, en dehors de 
ce timbre nécessairement abimé avec les années, le ténor américain nous 
empoigne tout du long par la maîtrise de ses phrasés, où chaque syllabe 
semble vibrer d’une vitalité intérieure au service du drame. Son 
expression se fait plus encore déchirante lorsqu’elle est déployée en 
pleine voix, là où Kunde impressionne par une aisance technique digne de
 cet artiste parmi les plus grands. La longue ovation reçue en fin de 
représentation est à la hauteur de l’engagement soutenu tout du long, 
sans marque de fatigue. En comparaison, on aimerait qu‘Ildebrando d’Arcangelo fende l’armure en plusieurs endroits afin de dépasser son tempérament 
parfois trop placide – même si l’on pourra noter que cette réserve reste
 en phase avec les ambiguïtés de son rôle. Quoi qu’il en soit, autant la
 majesté dans les phrasés, que la résonance dans les graves superbement 
projetés, sont un régal de tous les instants.
![]()  | 
| Gregory Kunde | 
A ses côtés, le wallon Lionel Lhote
 triomphe dans son rôle de Rodrigo, à force de solidité dans la ligne et
 de conviction dans l’incarnation. A peine lui reprochera-t-on une 
émission trop appuyée dans le médium, au détriment de la pureté de la 
prononciation. Belle prestation également du Grand inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, qui compense un léger manque de profondeur dans les graves par une présence magnifique de noirceur. Les femmes assurent bien leur partie, au premier rang desquelles la touchante Yolanda Auyanet, toujours très juste dans chacune de ses interventions, d’une belle rondeur hormis dans quelques aigus tendus. L’Eboli de Kate Aldrich a moins d’impact vocal mais assure l’essentiel sur toute la tessiture, tandis que les seconds rôles superlatifs (magnifiques Caroline de Mahieu et Maxime Melnik) donnent beaucoup de satisfaction.
Si les choeurs montrent quelques 
hésitations dans la cohésion au I, ils se rattrapent bien par la suite, 
de même que le tonitruant Paolo Arrivabeni, un peu 
raide au début avant de séduire par l’exaltation des verticalités et son
 sens affirmé de la conduite narrative. La mise en scène illustrative de
 Stefano Mazzonis di Pralafera n’évite pas un certain 
statisme par endroits, mais séduit par son sens méticuleux du détail 
historique, parfaitement rendu par l’éclat de la scénographie et des 
costumes. Un grand spectacle logiquement applaudi par le chaleureux 
public liégeois, sous le regard goguenard de Wagner (représenté sur le 
plafond de l’Opéra en 1903, avec d’autres illustres compositeurs).


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