lundi 24 février 2020

« Raoul Barbe-Bleue » d'André Grétry - Disque Aparté


Bien avant les ouvrages lyriques d’Offenbach (1866), Dukas (1907) ou Bartók (1911), pour ne citer que les plus connus, la Barbe-Bleue du Liégeois André Grétry fit les délices des connaisseurs jusqu’au XIXe siècle – Wagner en gardant notamment un «souvenir merveilleux» dans le récit des jeunes années de ses mémoires. Ce n’est là que justice, tant cette «comédie» de 1789 surprend d’emblée par un ton tragique aux échos gluckistes, bien éloigné de l’image doucereuse du spécialiste de l’opéra-comique en son temps à Paris (notamment L’Amant jaloux ou Richard Cœur de Lion). Le livret permet ensuite une alternance équilibrée entre sérieux et comique, tout en enrichissant l’histoire de Perrault par quelques emprunts bienvenus à des romans médiévaux alors en vogue: Isaure se voit ainsi poussée dans les bras du riche Barbe-Bleue par ses frères ruinés, tandis que son soupirant Vergy, tout aussi désargenté, ne peut qu’accepter le renoncement de sa promise. La dernière partie de l’ouvrage mélange à nouveau les genres, entre le travestissement de Vergy pour endosser le rôle de la sœur Anne et la vengeance des familles des anciennes femmes de Barbe-Bleue. De quoi donner une action soutenue tout du long, admirablement mise en valeur par un Grétry aussi pétillant dans la variation des climats qu’inspiré au niveau mélodique, même s’il reste toujours dans le moule de la musique galante.

Ce nouveau jalon enregistré en première mondiale s’ajoute aux très beaux disques consacrés à Grétry, toujours à l’initiative du Centre de musique baroque de Versailles: Céphale et Procris et Andromaque en 2010 ont précédé La Caravane du Caire en 2014. On retrouve ici plusieurs chanteurs familiers des productions réunies à Versailles, telle Chantal Santon-Jeffery et son émotion à fleur de peau, qui donne beaucoup de présence à son personnage. Comme à son habitude, la Française néglige cependant la prononciation dans les passages rapides, mais assure l’essentiel, de même que l’impeccable François Rougier, malgré une émission parfois serrée dans l’aigu. Outre la belle articulation de Matthieu Lécroart, on retient les désopilants Enguerrand de Hys et Jérôme Boutillier, toujours aussi excellents dans l’incarnation. Autour de ce plateau vocal entièrement francophone (à une exception près), la grande satisfaction est sans aucun doute la prestation du méconnu ensemble sur instruments d’époque Orkester Nord, basé à Trondheim. C’est précisément dans le cadre du festival Barokkfest Early Music, organisé dans cette même ville norvégienne (troisième du pays après Oslo et Bergen), que ce projet a pu avoir lieu, nous faisant bénéficier des forces emmenées par Martin Wåhlberg (né en 1980). En spécialiste de la littérature française du XVIIIe qu’il a étudiée dans nos contrées, ce jeune chef n’est pas pour rien dans la réussite de ce projet, tant sa direction à la fois enlevée et narrative donne beaucoup de vitalité à l’ensemble. Une très belle découverte.

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