Montrée à Madrid et Cologne, respectivement en 2018 et 2019, la production de Street Scene
(1947) imaginée par John Fulljames fait étape à Monte-Carlo en
reprenant, à quelques exceptions près, le plateau vocal de Madrid. On se
réjouit que des projets d’une telle envergure puissent permettre de
découvrir dans les meilleures conditions possibles un ouvrage difficile à
monter, autant par le nombre considérable d’interprètes à réunir que
les exigences individuelles requises (qualités théâtrales et vocales).
Composé en 1946, l’ouvrage se situe à mi-chemin entre l’opéra et la
comédie musicale, Kurt Weill s’étant très vite adapté aux contingences
américaines plus conservatrices, peu ouvertes au style expressionniste
mâtiné d’influences jazzy et cabaret, façon Opéra de quat’sous (1928).
Après le succès de la comédie musicale Lady in the Dark (1941), Weill poursuit dans sa volonté de proposer un spectacle de qualité à Broadway, tout particulièrement quant à l’exigence littéraire de ses livrets. A la manière de ce que fera Britten plus tard avec ses opéras de chambre, Weill va plus loin encore et crée son propre style avec Street Scene, en embrassant une multitude d’influences assez jubilatoires dans leur entrelacement virtuose – jazz, blues et chansons alternent avec des emprunts (parfois sucrés) à Puccini et Korngold. On retrouve l’appétence de Weill pour un théâtre militant, où le compositeur donne la parole à la middle class encore peu représentée sur scène: la vie d’un immeuble populaire à New York dans les années 1920 permet d’observer une micro-société constituée de migrants aux origines multiples, qui façonnent l’Amérique silencieuse des travailleurs en une mosaïque chorale attachante. Weill, qui n’est pas encore inquiété pour ses sympathies marxistes, s’interroge sur la conscience de classe, le déterminisme et la liberté individuelle (en une fin d’ouvrage pessimiste qui honni le «mariage bourgeois»): si le discours a perdu aujourd’hui une grande partie de sa charge subversive, il ne reste pas moins surprenant de l’entendre dans les ors, toujours aussi splendides, de l’Opéra de Monte-Carlo!
Après le succès de la comédie musicale Lady in the Dark (1941), Weill poursuit dans sa volonté de proposer un spectacle de qualité à Broadway, tout particulièrement quant à l’exigence littéraire de ses livrets. A la manière de ce que fera Britten plus tard avec ses opéras de chambre, Weill va plus loin encore et crée son propre style avec Street Scene, en embrassant une multitude d’influences assez jubilatoires dans leur entrelacement virtuose – jazz, blues et chansons alternent avec des emprunts (parfois sucrés) à Puccini et Korngold. On retrouve l’appétence de Weill pour un théâtre militant, où le compositeur donne la parole à la middle class encore peu représentée sur scène: la vie d’un immeuble populaire à New York dans les années 1920 permet d’observer une micro-société constituée de migrants aux origines multiples, qui façonnent l’Amérique silencieuse des travailleurs en une mosaïque chorale attachante. Weill, qui n’est pas encore inquiété pour ses sympathies marxistes, s’interroge sur la conscience de classe, le déterminisme et la liberté individuelle (en une fin d’ouvrage pessimiste qui honni le «mariage bourgeois»): si le discours a perdu aujourd’hui une grande partie de sa charge subversive, il ne reste pas moins surprenant de l’entendre dans les ors, toujours aussi splendides, de l’Opéra de Monte-Carlo!
Quoi qu’il en soit, l’œuvre sait jouer sur d’autres tableaux, mêlant
l’humour et l’ironie avec finesse en plusieurs occasions, de l’ode au
«c’était mieux avant» de Maurrant, aux critiques des commères jamais
lassées de leur ouvrage ou des mères peu enclines à leur mission
reproductrice. Le spectacle imaginé par John Fulljames reste plaisant
tout du long en s’appuyant sur une scénographie unique pendant toute la
représentation, en forme de huis clos. En montrant chaque appartement de
l’immeuble superposé en étage, la promiscuité est ainsi admirablement
suggérée, de même que l’atmosphère du New York populaire avec
l’adjonction de bruitages de rue pendant les dialogues. L’utilisation
des matériaux industriels, comme la variété des éclairages qui
revisitent le décor, achèvent de convaincre de ce très beau travail,
toujours soutenu par une vibrante direction d’acteur. De même, l’idée de
faire commettre le double meurtre loin des regards, dans les hauteurs,
fonctionne très bien au niveau dramatique.
Le plateau vocal réuni apporte aussi beaucoup de satisfaction, malgré quelques infimes réserves. Ainsi du solide Frank de Paulo Szot, parfois trop outré dans ses interventions théâtrales, ou de l’abattage scénique toujours aussi impressionnant de l’Anna de Patricia Racette, et ce malgré un aigu au vibrato prononcé. La petite voix de Mary Bevan donne une grâce et une fragilité bienvenues à son rôle, tandis que Joel Prieto fait valoir son beau timbre, malgré quelques faussetés audibles dans son premier air notamment. Tous les autres interprètes affichent un niveau d’ensemble de qualité, à juste titre très applaudi par le public monégasque – tout particulièrement les danseurs avant l’entracte ou le chœur d’enfants, très engagé. Enfin, Lee Reynolds donne le meilleur de l’excellent Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, par une attention soutenue à l’élan narratif, sans jamais couvrir le plateau. Un très beau spectacle qui fait honneur à la grande maison monégasque, où l’on retrouvera d’autres spectacles très attendus pour la suite de la saison, notamment Le Comte Ory avec Cecilia Bartoli, puis La Traviata avec Ermonela Jaho.
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