mercredi 19 février 2020

« Mouvement contraire » de Désiré-Emile Inghelbrecht - Edition La Coopérative


Créée en 2015 par deux passionnés de littérature, Jean-Yves Masson et Philippe Giraudon, ce dernier par ailleurs auteur, traducteur et enseignant, la maison d’édition La Coopérative a remis au goût du jour de nombreux ouvrages indisponibles depuis nombreuses années, faute de réédition – à l’instar des mémoires à rebours de Désiré-Emile Inghelbrecht (1880-1965), publiés en 1947. C’est là l’occasion de se délecter des souvenirs de l’un des chefs d’orchestre les plus célèbres de son temps, de 1933 jusqu’à son enfance heureuse, dans une famille de musiciens aux origines diverses (Angleterre, Belgique et Suisse germanophone). D’une qualité littéraire digne des Mémoires de Berlioz, la prose d’«Inghel» laisse très vite entrevoir son vif tempérament, au service d’une exigence et d’une probité artistiques revendiquées. Ses combats contre la lourdeur administrative ou l’affairisme des dirigeants des plus prestigieuses institutions musicales, lui valent de solides inimitiés, tout comme sa volonté de s’affirmer comme un pionnier du retour aux sources musicologiques, pour «faire le point des mauvaises traditions dans les partitions les plus familières». Cette même rigueur explique quelques expériences malheureuses, à l’instar de sa période à l’Opéra d’Alger, où sa volonté de renouveler le répertoire se heurte aux goûts d’un public conservateur et à des interprètes peu scrupuleux.

Pour autant, si quelques comptes légitimes sont à régler, on préfère grandement lorsque Inghel loue les innovations de son temps (avènement du cinéma et de l’enregistrement discographique notamment) et surtout son amour pour le répertoire français, notamment ses contemporains Debussy, Ravel, Schmitt ou Chabrier, dont il sera un interprète de tout premier plan (voir notamment le coffret «Orchestre national de France. 80 ans de concerts inédits», publié par Radio France et l’INA en 2013). On ne peut que féliciter l’éditeur pour l’apport d’une discographie très complète en fin d’ouvrage, où l’on retrouve quelques pièces composées par Inghel. Le musicien fut en effet d’abord violoniste pour différents orchestres (vagabondage qui lui permettra ensuite de se révéler comme un formidable bâtisseur d’orchestre, à l’instar d’Artur Rodzinski aux Etats-Unis), tout en espérant se faire connaître en tant que compositeur. Malgré la pudeur de l’écrivain, cet espoir déçu transparaît dans quelques passages, où Inghel révèle quelques anecdotes savoureuses, de la composition d’un opéra (!) en tant que nègre à l’audition faussement bienveillante de Colonne à son domicile.

Inghel n’oublie pas de brosser le portrait de nombreuses personnalités majeures de son temps, dont sa femme Carina Ari, rencontrée lors de la période féconde des Ballets suédois, ou encore les figures de Steinlein et Anatole France. On aurait aimé toutefois bénéficier d’une édition augmentée de nombreuses notes de bas de page, afin de mieux situer les personnalités citées et de rectifier, le cas échéant, les quelques libertés prises (volontairement ou non) avec la réalité historique. Malgré cette réserve, l’ouvrage se lit avec beaucoup plaisir, autant par l’apport d’une riche iconographie que par l’esprit affûté du chef qui fait mouche, sans jamais se départir d’un humour très british, y compris sur lui-même lorsqu’il moque, par exemple, son ingénuité pour les choses de l’amour.

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