lundi 3 février 2020

« Le Démon » d'Anton Rubinstein - Paul Daniel - Opéra de Bordeaux - 31/01/2020


Parmi les événements de la saison bordelaise figure la création du Démon (1871), plus fameux des vingt ouvrages lyriques d’Anton Rubinstein (1829-1894), encore régulièrement donné de nos jours en Russie (plus rarement ailleurs: voir la dernière production accueillie au Théâtre du Châtelet en 2003). On comprend aisément pourquoi le professeur de Tchaïkovski garde une certaine aura dans son pays natal : l’élan franc et direct de ses mélodies, tout autant que sa traduction orchestrale aux contrechants réduits, vont droit au but – le tout en des climats bien variés et une construction dramatique efficace. Pour autant, si l’amateur peut être séduit par cette éloquente simplicité, le mélomane déchante vite, faute d’audace et d’originalité dans l’orchestration ou dans l’écriture des nombreux chœurs – souvent mêlés aux solistes. L’impact puissant des parties chorales fait également son effet au début, avant de rapidement s’éventer par la prudence contrapuntique et prévisible de l’ancien pianiste virtuose – à ne pas confondre avec son frère Nikolaï ou avec le pianiste polonais Arthur Rubinstein (sans lien de parenté). Quoi qu’il en soit, en compositeur chevronné, le petit maître russe connaît suffisamment son affaire pour dispenser des airs de belle tenue, notamment dans l’exploration des tourments individuels.

Les interprètes affichent un niveau général d’excellente tenue, hormis la perfectible Evgenia Muraveva, bien en peine avec la justesse dans ses périlleuses premières interventions, au placement de voix délicat dans le suraigu. Si elle se reprend ensuite, l’émission un peu brusque de la soprano lyrique reste toutefois problématique par rapport à ses partenaires – au premier rang desquels le superlatif Démon d’Aleksei Isaev (remplaçant la défection de Nicolas Cavallier), fin connaisseur du rôle. Avec ses phrasés saisissants de vérité dramatique et son impact vocal mordant, le baryton reçoit une ovation méritée en fin de représentation. Bien belle idée, aussi, de confier le rôle de l’Ange au contre-ténor américain Ray Chenez, dont les traits androgynes et la voix cristalline font merveille en contraste. C’est d’autant plus judicieux que la mise en scène de Dmitry Bertman choisit de présenter ces deux personnages en miroir, sous des habits identiques, aux couleurs inversées en noir et blanc – comme les deux faces complémentaires du yin et du yang. A leur côté, Alexey Dolgov incarne un solide et puissant Sinodal, dont on aurait aimé toutefois un chant plus stylé, à l’instar de la noblesse des phrasés du Goudal d’Alexandros Stavrakakis, à l’émission large. On aime aussi grandement le serviteur de Luc Bertin-Hugault, aussi à l’aise techniquement qu’inspiré dans l’expression au service du texte. On mentionnera encore l’excellente nourrice de Svetlana Lifar, au timbre cuivré et gorgé de couleurs, tandis que la direction enflammée de Paul Daniel ne couvre jamais le plateau, donnant le meilleur de l’excellent Orchestre National Bordeaux Aquitaine, comme des chœurs très précis.

Dmitry Bertman joue la carte d’une scénographie unique pendant toute la représentation, bien revisitée par les éclairages et une utilisation judicieuse de la vidéo. Avec quelques effets simples mais efficaces, tel que cet immense globe au-dessus des interprètes, l’élégance et le monumentalisme des décors font souvent penser au travail de Stefano Poda, jouant à la fois sur le symbolisme des éléments ou des images du système solaire. On regrettera seulement quelques maladresses, comme l’étroitesse du plateau qui occasionne plusieurs bruits de scène (avec le chœur surtout) ou ces roulades maladroites des interprètes lorsqu’ils chantent. Des détails qui n’enlèvent rien à la beauté visuelle de cette production, par ailleurs bien accueillie par le public bordelais.

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