Après avoir été présentée à Montpellier l’an passé, la nouvelle production d’Iphigénie en Tauride de C. W. Gluck fait halte à l’Opéra d’Anvers, avec une distribution totalement renouvelée. La mise en scène de Rafael R. Villalobos transpose le drame dans les affres contemporaines de la guerre en Ukraine, nous rappelant ainsi que la Tauride se situe dans l’actuelle Crimée.
Le metteur en scène Rafael R. Villalobos (37 ans) s’est fait remarquer en France par plusieurs spectacles provocateurs, dont Le Barbier de Séville et Tosca, tous deux montés à Montpellier. A Anvers, le jeune trublion espagnol poursuit dans cette voie, en montrant toutes les horreurs de la guerre, notamment une scène de viol particulièrement réaliste, perpétrée par Thoas : de quoi noircir ce personnage et rendre plus crédible son assassinat en fin d’ouvrage. La principale idée de Villalobos consiste toutefois à enrichir le livret de plusieurs saynètes parlées, extraites d’Euripide et Sophocle. On y découvre en flashback les parents d’Iphigénie, Agamemnon et Clytemnestre, qui se déchirent sous les yeux de leurs enfants, encore préservés des épreuves à venir. Il est vivement recommandé de réviser au préalable l’ensemble du mythe associé à ces personnages pour bien saisir l’intérêt de ces ajouts. Enfin, Villalobos associe passé et présent en montrant une représentation théâtrale soudainement interrompue par le fracas des bombes. Ce recours au « théâtre dans le théâtre » a certes pour effet d’ajouter une distanciation sur les événements, mais peine à convaincre de sa pertinence sur la durée du spectacle.
Face à cette mise en scène en demi-teinte, le plateau vocal emporte l’adhésion, malgré une prononciation inégale du Français selon les interprètes. Ainsi de Michèle Losier qui déçoit sur ce plan, et ce malgré ses origines québécoises. Sa technique solide sur toute la tessiture est un atout heureusement plus décisif, entre qualités de projection et rondeur du timbre. On aime aussi sa capacité à faire vivre son rôle d’une sensibilité frémissante, à l’instar d’un Kartal Karagedik touchant de bout en bout, notamment dans ses piani finement ciselés. Déjà applaudi ici-même dans Don Carlos en 2019, le baryton turc maîtrise admirablement la métronomie exigeante de l’articulation, propre à ce répertoire. Mais que dire des qualités superlatives de Reinoud Van Mechelen en ce domaine ? On reste toujours aussi admiratif de la clarté d’émission et de la force d’évidence qui émane de ses phrasés aériens, révélateurs de sa familiarité avec le baroque. Ne l’a-t-on pas entendu en début d’année dans l’autre Iphigénie en Tauride (1704), plus méconnue, de Desmarest et Campra ? Pour un peu, nous aurons peut-être un jour la chance d’apprécier son art dans l’Iphigénie (1781) quasi contemporaine de Piccinni, le grand rival de Gluck.
Quoi qu’il en soit, le chanteur flamand n’est pas le seul à se distinguer : ainsi de Wolfgang Stefan Schwaiger, superbe d’autorité en Thoas, de même que les Chœurs de l’Opera Ballet Vlaanderen. Leur cohésion et leur raffinement ne sont pas pour rien dans l’accueil chaleureux réservé par le public à l’ensemble des artistes, en fin de représentation. On aime aussi la direction engagée de Benjamin Bayl, qui privilégie des attaques franches et directes, très impressionnantes lors des parties orageuses, surtout audibles aux deux premiers actes.
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