« Katia Kabanova » de Leos Janacek - Opéra royal de Wallonie à Liège - 24/10/2024
Après une absence de 24 ans sur la scène liégeoise, Katia Kabanova de Leos Janacek fait son retour dans une nouvelle mise en scène confiée à la Française Aurore Fattier : une réussite quasi-parfaite, à saluer d’une pierre blanche, autour d’un plateau vocal de haut niveau.
Artiste associée au Théâtre de Liège, Aurore Fattier
fait ses débuts dans le monde de l’opéra avec l’un des chefs-d’œuvre les
plus parfaits de Janacek, que l’on ne se lasse pas d’entendre et
réentendre. Adapté de la pièce éponyme d’Ostrovski, ce drame brûlant
annonce Tchekhov par sa capacité à saisir les tourments, souvent
ambivalents, d’individus pris au piège de destins tout tracés, comme du
conformisme social. Janacek choisit de centrer l’action sur les états
d’âme de Katia, une femme mariée tourmentée par son désir adultérin, en
contradiction avec ses convictions morales et religieuses. L’incapacité
de l’héroïne à sortir des schémas sociaux pré-conçus la conduit à la
folie, là où son pendant plus « moderne », Varvara, choisit de
s’affranchir de toute contrainte sociale en faisant le choix de la
liberté, fût-ce au prix de la perte définitive de sa proche famille.
Les
résonances de ce double apprentissage initiatique restent
indissociables du parcours biographique de Janacek, qui aima en vainc
une femme mariée, de 38 ans sa cadette. On comprend dès lors combien le
récit tragique des amours contrariées de Katia dut profondément émouvoir
Janacek, qui se lança à corps perdu dans la composition d’une musique
d’une intensité rythmique éruptive et d’une grande force émotionnelle.
Il faut ainsi concevoir l’orchestre comme un personnage à part entière
du récit, qui accompagne les personnages d’une palette de couleurs
mouvantes, à même de décrire chacun des caractères, bien au-delà du
texte lui-même.
A cet égard, une des grandes réussites de la soirée liégeoise vient précisément de la direction flamboyante du chef Michael Güttler, qui n’a pas son pareil pour embrasser le drame de ses attaques franches et de ses tempi
endiablés. Le maestro allemand sait aussi s’apaiser dans les parties
plus lyriques ou émouvantes, afin de bien contraster les enjeux. On
regrette toutefois qu’une sonorisation un rien excessive ne vienne trop
favoriser l’orchestre par rapport aux chanteurs. Fort heureusement, le plateau vocal
réuni est l’un des plus enthousiasmants du moment, malgré quelques
réserves sur le rôle-titre. On aurait certes aimé un aigu moins criard
dans les forte d’Anush Hovhannisyan (Katia Kabanova),
de même qu’une épaisseur de timbre plus prononcée. Pour autant, la
soprano arménienne s’empare de son rôle en une interprétation touchante
de bout en bout, très réussie dans les scènes de fragilité.
Déjà entendu
ici-même en début d’année dans Rusalka de Dvorak, Anton Rositskiy
(Boris Grigorjevic) fait de nouveau forte impression, à la fois par sa
présence scénique et sa solidité de ligne, sur toute la tessiture. La
Kabanikha haute en couleurs de Nino Surguladze s’impose
tout autant, même si elle ne fait pas dans la demi-mesure. Avec son
tempérament volcanique et ses graves mordants, son personnage apparaît
ainsi plus manichéen qu’à l’habitude, en forçant le côté sombre de la
belle-mère. Tous les seconds rôles se montrent à un niveau superlatif,
de la sonore Jana Kurucova (Varvara) au ténébreux Dmitry Cheblykov (Dikoj). Enfin, dans son rôle complexe de pleutre soumis à sa mère mais sincèrement amoureux de sa femme, Magnus Vigilius (Tikhon) se distingue par son éloquence sans ostentation.
Un autre motif de satisfaction revient à la mise en scène réussie d’Aurore Fattier,
qui plonge les interprètes dans une pénombre mystérieuse pendant la
quasi-totalité du spectacle, en revisitant son décor unique par une
variété d’atmosphères et d’éclairages proprement envoûtante. On aime
aussi l’utilisation de la vidéo pour montrer les visages en gros plans
et aider d’emblée à définir les caractères des personnages, par quelques
mimiques ou détails d’accoutrement. A plusieurs moments-clés du récit,
la vidéo sait aussi insister sur les éléments décisifs, tels que la clé
qui ouvre la porte des désirs refoulés ou le panneau d’interdiction de
baignade, dont l’ironie annonce cruellement le drame à venir. C’est plus
particulièrement le destin tragique de l’héroïne qui intéresse Aurore
Fattier, qui ajoute plusieurs figurants sur le plateau, des enfants au
double adolescent de Kat’a : de quoi figurer l’innocence encore
préservée des choix, parfois cornéliens, induits par la ronde
ensorcelante du désir amoureux.
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