vendredi 25 octobre 2024

« Katia Kabanova » de Leos Janacek - Opéra royal de Wallonie à Liège - 24/10/2024

Après une absence de 24 ans sur la scène liégeoise, Katia Kabanova de Leos Janacek fait son retour dans une nouvelle mise en scène confiée à la Française Aurore Fattier : une réussite quasi-parfaite, à saluer d’une pierre blanche, autour d’un plateau vocal de haut niveau.

 

Artiste associée au Théâtre de Liège, Aurore Fattier fait ses débuts dans le monde de l’opéra avec l’un des chefs-d’œuvre les plus parfaits de Janacek, que l’on ne se lasse pas d’entendre et réentendre. Adapté de la pièce éponyme d’Ostrovski, ce drame brûlant annonce Tchekhov par sa capacité à saisir les tourments, souvent ambivalents, d’individus pris au piège de destins tout tracés, comme du conformisme social. Janacek choisit de centrer l’action sur les états d’âme de Katia, une femme mariée tourmentée par son désir adultérin, en contradiction avec ses convictions morales et religieuses. L’incapacité de l’héroïne à sortir des schémas sociaux pré-conçus la conduit à la folie, là où son pendant plus « moderne », Varvara, choisit de s’affranchir de toute contrainte sociale en faisant le choix de la liberté, fût-ce au prix de la perte définitive de sa proche famille.

 

Les résonances de ce double apprentissage initiatique restent indissociables du parcours biographique de Janacek, qui aima en vainc une femme mariée, de 38 ans sa cadette. On comprend dès lors combien le récit tragique des amours contrariées de Katia dut profondément émouvoir Janacek, qui se lança à corps perdu dans la composition d’une musique d’une intensité rythmique éruptive et d’une grande force émotionnelle. Il faut ainsi concevoir l’orchestre comme un personnage à part entière du récit, qui accompagne les personnages d’une palette de couleurs mouvantes, à même de décrire chacun des caractères, bien au-delà du texte lui-même.

A cet égard, une des grandes réussites de la soirée liégeoise vient précisément de la direction flamboyante du chef Michael Güttler, qui n’a pas son pareil pour embrasser le drame de ses attaques franches et de ses tempi endiablés. Le maestro allemand sait aussi s’apaiser dans les parties plus lyriques ou émouvantes, afin de bien contraster les enjeux. On regrette toutefois qu’une sonorisation un rien excessive ne vienne trop favoriser l’orchestre par rapport aux chanteurs. Fort heureusement, le plateau vocal réuni est l’un des plus enthousiasmants du moment, malgré quelques réserves sur le rôle-titre. On aurait certes aimé un aigu moins criard dans les forte d’Anush Hovhannisyan (Katia Kabanova), de même qu’une épaisseur de timbre plus prononcée. Pour autant, la soprano arménienne s’empare de son rôle en une interprétation touchante de bout en bout, très réussie dans les scènes de fragilité.

 

Déjà entendu ici-même en début d’année dans Rusalka de Dvorak, Anton Rositskiy (Boris Grigorjevic) fait de nouveau forte impression, à la fois par sa présence scénique et sa solidité de ligne, sur toute la tessiture. La Kabanikha haute en couleurs de Nino Surguladze s’impose tout autant, même si elle ne fait pas dans la demi-mesure. Avec son tempérament volcanique et ses graves mordants, son personnage apparaît ainsi plus manichéen qu’à l’habitude, en forçant le côté sombre de la belle-mère. Tous les seconds rôles se montrent à un niveau superlatif, de la sonore Jana Kurucova (Varvara) au ténébreux Dmitry Cheblykov (Dikoj). Enfin, dans son rôle complexe de pleutre soumis à sa mère mais sincèrement amoureux de sa femme, Magnus Vigilius (Tikhon) se distingue par son éloquence sans ostentation.

 

Un autre motif de satisfaction revient à la mise en scène réussie d’Aurore Fattier, qui plonge les interprètes dans une pénombre mystérieuse pendant la quasi-totalité du spectacle, en revisitant son décor unique par une variété d’atmosphères et d’éclairages proprement envoûtante. On aime aussi l’utilisation de la vidéo pour montrer les visages en gros plans et aider d’emblée à définir les caractères des personnages, par quelques mimiques ou détails d’accoutrement. A plusieurs moments-clés du récit, la vidéo sait aussi insister sur les éléments décisifs, tels que la clé qui ouvre la porte des désirs refoulés ou le panneau d’interdiction de baignade, dont l’ironie annonce cruellement le drame à venir. C’est plus particulièrement le destin tragique de l’héroïne qui intéresse Aurore Fattier, qui ajoute plusieurs figurants sur le plateau, des enfants au double adolescent de Kat’a : de quoi figurer l’innocence encore préservée des choix, parfois cornéliens, induits par la ronde ensorcelante du désir amoureux. 

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