dimanche 13 octobre 2024

« Ubu Roi » d’Alfred Jarry - Pascal Neyron - Théâtre de l'Athénée à Paris - 11/10/2024

 

Depuis son changement de direction en 2021, le Théâtre de l’Athénée a souhaité poursuivre sa collaboration avec Pascal Neyron, l’un des metteurs en scène les plus attachants découverts dans l’ancien théâtre de Louis Jouvet, notamment pour Le Testament de la tante Caroline de Roussel en 2019 ainsi que deux productions d’œuvres de Maurice Yvain, Là‑haut en 2022 et Gosse de riche en début d’année.

Autant de réussites dans le domaine de l’opérette, toujours avec la complicité de l’ensemble Les Surprises, qui lui ont donné envie de s’intéresser à la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry, avec la musique de scène de Claude Terrasse (1867‑1923), l’un des héritiers d’Offenbach. Le chant est cette fois‑ci absent de la scène de l’Athénée, mais le mélomane a le plaisir de découvrir la musique pétillante du jeune Terrasse, alors en début de carrière, dans une adaptation pour onze instruments (sans les cordes, comme c’était le cas en 1922). C’est là un apport indéniable par rapport à la création, qui avait préféré le piano seul (voir aussi la production donnée au Musée d’Orsay en 2005). On se délecte ainsi toute la soirée des rythmes de fanfares en forme de courtes vignettes musicales, qui irriguent toute la pièce en donnant des leitmotivs à chacun des principaux personnages. Terrasse s’amuse à saupoudrer son orchestration de toute une palette de bizarreries, entre légères dissonances et orchestrations farfelues, pour coller au plus près des péripéties rocambolesques d’Ubu.

Echec retentissant à sa création, Ubu Roi est devenu depuis un classique de l’humour absurde, en annonçant avant l’heure le courant surréaliste, et plus près de nous les satires désopilantes des Monty Python jusqu’aux Robins des Bois, en passant par celles d’Alain Chabat et d’Alexandre Astier. Paradoxalement, ces héritiers sont allés tellement plus loin dans l’exploration du genre qu’ils ont donné un coup de vieux au texte de Jarry, qui n’a plus aujourd’hui le même parfum de scandale qu’en 1896.

Il fallait certainement toute la fantaisie débridée d’un Pascal Neyron pour parvenir à remettre la pièce au goût du jour, sans lui faire perdre son esprit à mi-chemin entre surréalisme et caricature des tragédies shakespeariennes, de Hamlet à Macbeth. Pour cela, Neyron choisit de dépouiller la scène de tout décor, plaçant au centre de l’attention le couple sordide, qui se chamaille tout du long comme deux enfants attardés. Les intonations passent sans cesse du sérieux au décalé, donnant au spectateur le recul nécessaire sur la farce. L’enchaînement sans temps mort des péripéties évite aussi toute lourdeur, tandis que Neyron s’amuse à revisiter les rares éléments de décor, principalement des sortes de boyaux métalliques que les comédiens empruntent comme costumes lors de l’hilarante bataille dans la pénombre enfumée.

La frénésie des comédiens évite toute hystérie pour trouver le ton juste : on tient en Paul Jeanson (Père Ubu) un interprète habité par son rôle, qui ne recule devant aucune bassesse pour figurer le pleutre flamboyant, bien aidé par une Sol Espeche (Mère Ubu) délicieusement vénéneuse. On aime aussi le verbe haut et clair de Jean‑Louis Coulloc’h, tandis que Nathalie Bigorre complète la distribution avec bonheur. L’ensemble Les Surprises est intégré plusieurs fois à l’action, sans jamais se départir de sa parfaite cohésion au niveau musical. Un spectacle réussi, dont l’humour bon enfant conviendra parfaitement à un public adolescent, et bien au‑delà !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire