Depuis son changement de direction en 2021, le Théâtre de l’Athénée a
souhaité poursuivre sa collaboration avec Pascal Neyron, l’un des
metteurs en scène les plus attachants découverts dans l’ancien théâtre
de Louis Jouvet, notamment pour Le Testament de la tante Caroline de Roussel en 2019 ainsi que deux productions d’œuvres de Maurice Yvain, Là‑haut en 2022 et Gosse de riche en début d’année.
Autant de réussites dans le domaine de l’opérette, toujours avec la
complicité de l’ensemble Les Surprises, qui lui ont donné envie de
s’intéresser à la pièce Ubu Roi (1896) d’Alfred Jarry, avec la
musique de scène de Claude Terrasse (1867‑1923), l’un des héritiers
d’Offenbach. Le chant est cette fois‑ci absent de la scène de l’Athénée,
mais le mélomane a le plaisir de découvrir la musique pétillante du
jeune Terrasse, alors en début de carrière, dans une adaptation pour
onze instruments (sans les cordes, comme c’était le cas en 1922). C’est
là un apport indéniable par rapport à la création, qui avait préféré le
piano seul (voir aussi la production donnée au
Musée d’Orsay en 2005).
On se délecte ainsi toute la soirée des rythmes de fanfares en forme de
courtes vignettes musicales, qui irriguent toute la pièce en donnant
des leitmotivs à chacun des principaux personnages. Terrasse s’amuse à
saupoudrer son orchestration de toute une palette de bizarreries, entre
légères dissonances et orchestrations farfelues, pour coller au plus
près des péripéties rocambolesques d’Ubu.
Echec retentissant à sa création, Ubu Roi est devenu depuis un
classique de l’humour absurde, en annonçant avant l’heure le courant
surréaliste, et plus près de nous les satires désopilantes des Monty
Python jusqu’aux Robins des Bois, en passant par celles d’Alain Chabat
et d’Alexandre Astier. Paradoxalement, ces héritiers sont allés
tellement plus loin dans l’exploration du genre qu’ils ont donné un coup
de vieux au texte de Jarry, qui n’a plus aujourd’hui le même parfum de
scandale qu’en 1896.
Il fallait certainement toute la fantaisie débridée d’un Pascal Neyron
pour parvenir à remettre la pièce au goût du jour, sans lui faire perdre
son esprit à mi-chemin entre surréalisme et caricature des tragédies
shakespeariennes, de Hamlet à Macbeth. Pour cela, Neyron
choisit de dépouiller la scène de tout décor, plaçant au centre de
l’attention le couple sordide, qui se chamaille tout du long comme deux
enfants attardés. Les intonations passent sans cesse du sérieux au
décalé, donnant au spectateur le recul nécessaire sur la farce.
L’enchaînement sans temps mort des péripéties évite aussi toute
lourdeur, tandis que Neyron s’amuse à revisiter les rares éléments de
décor, principalement des sortes de boyaux métalliques que les comédiens
empruntent comme costumes lors de l’hilarante bataille dans la pénombre
enfumée.
La frénésie des comédiens évite toute hystérie pour trouver le ton
juste : on tient en Paul Jeanson (Père Ubu) un interprète habité par son
rôle, qui ne recule devant aucune bassesse pour figurer le pleutre
flamboyant, bien aidé par une Sol Espeche (Mère Ubu) délicieusement
vénéneuse. On aime aussi le verbe haut et clair de Jean‑Louis Coulloc’h,
tandis que Nathalie Bigorre complète la distribution avec bonheur.
L’ensemble Les Surprises est intégré plusieurs fois à l’action, sans
jamais se départir de sa parfaite cohésion au niveau musical. Un
spectacle réussi, dont l’humour bon enfant conviendra parfaitement à un
public adolescent, et bien au‑delà !
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