On s’est récemment extasié sur Le Petit Marat
de Mascagni, programmation audacieuse d’Angers Nantes Opéra, mais que
dire de son équivalent à Nancy, qui, sous le titre « Héroïne », propose
en cet automne la réunion de deux ouvrages en un acte et d’un oratorio,
d’une force expressive mémorable ? On doit cette proposition au
dynamique directeur de l’institution, Matthieu Dussouillez, qui n’a pas
son pareil pour dépoussiérer le répertoire lyrique et propulser l’opéra
dans une dynamique contemporaine.
La soirée débute avec la Sancta Susanna (1922) de Paul Hindemith,
premier grand choc lyrique d’un compositeur qui marquera ensuite
durablement les esprits avec ses chefs‑d’œuvre au modernisme plus
accessible, de Cardillac (1926) à Mathis le peintre
(1938). Au début des années 1920, Hindemith est encore marqué par les
influences de Debussy et Reger, irriguées des contrastes de
l’expressionnisme, façon Elektra de Strauss. Au‑delà de son sujet sulfureux, Sancta Susanna
vaut surtout pour sa tension qui prend d’emblée à la gorge pour ne plus
vous lâcher, entre mélodies fuyantes et évasives au début, jusqu’à
l’explosion finale, en forme de déflagration. La brièveté même de
l’ouvrage (d’environ 25 minutes) renforce son efficacité théâtrale, à
l’instar d’autres huis‑clos étouffants et prenants, tel que Riders to the Sea (1937), opportunément programmé par plusieurs institutions voilà déjà quinze ans à Paris.
Immédiatement enchainée, la musique du chef‑d’œuvre lyrique de Bartók, Le Château de Barbe‑Bleue
(1918), trouve des sortilèges harmoniques toujours plus ensorcelants à
mesure que le drame intimiste se déploie entre les protagonistes. A
rebours du conte de Perrault, le livret explore la soif de connaissance
de Judith pour son promis, qui hésite à se confier, avant de la laisser
pénétrer une à une les portes de son château, comme une métaphore de son
ouverture progressive à l’autre. On ne trouve point d’épouses
sacrifiées ici, mais davantage un passionnant et troublant chemin
initiatique entre deux âmes, de l’impatience de Judith aux réticences
pudiques de Barbe‑Bleue. Après l’entracte, La Danse des morts
(1940) d’Arthur Honegger sonne moins moderne, en convoquant sa double
influence française et germanique, entre clarté des lignes et chœurs
puissamment architecturés. On est toutefois surpris par les emprunts à
des chansons populaires bien connues, revisitées en un ballet
joyeusement morbide et surréaliste : autant de qualités qui mettent en
valeur l’excellent chœur local, malgré quelques stridences dans les
aigus des sopranos.
Cette déception est d’autant plus regrettable qu’on tient avec Rosie Aldridge, déjà entendue en 2019 à Nancy dans Les Hauts de Hurlevent d’Herrmann, une des grandes mezzos dramatiques du moment, capable d’insuffler une tension dès ses premières interventions. Autant le mordant de sa diction que son à‑propos rythmique mettent en valeur des graves aussi charnus qu’admirablement projetés. On trouve une même solidité technique et un même sens de l’engagement chez la toujours parfaite Anaïk Morel (Susanna), à l’instar du superlatif Joshua Bloom (Barbe‑Bleue), pourtant très modeste au moment des saluts. Seul Yannis François se montre plus timide dans son rôle, sans parler des quelques décalages avec la fosse.
Cette dernière est tenue de main de maître par la Coréenne Sora Elisabeth Lee, qui prouve une nouvelle fois son affinité avec ce répertoire du début du XXe siècle, après la réussite des Oiseaux de Walter Braunfels, donnés en 2022 à Strasbourg. Son geste legato allie vivacité et transparence, en un élan aérien et frémissant, sans jamais se départir des nécessités théâtrales.
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