vendredi 11 octobre 2024

Concert de l'Orchestre national de France - Sakari Oramo - Maison de la Radio - 10/10/2024

Kyrill Gerstein
L’Orchestre National de France et son chef invité Sakari Oramo nous offre l’un des concerts les plus mémorables de ce début de saison en exhumant le rare Concerto pour piano (1896) de Ferruccio Busoni, un ouvrage dont on n’a pas fini d’appréhender la folle démesure, jusqu’à son Finale inattendu avec choeur d’hommes. Au piano, le génial Kirill Gerstein semble enfiler avec une facilité déconcertante toutes les difficultés de ce monument redouté.

L’Orchestre National de France a choisi de fêter le 100e anniversaire de la disparition de Ferruccio Busoni (1866-1924) en mettant à l’honneur l’un des ouvrages les plus dantesques du répertoire, d’abord par sa durée de 70 minutes (la plus longue parmi ses équivalents), puis par sa difficulté extrême pour le pianiste, sollicité tout du long. Issu d’une double ascendance allemande et italienne par ses parents, tous deux musiciens, Busoni a très tôt embrassé une carrière de pianiste prodige, avant de se consacrer à l’enseignement et à la composition. Son admiration pour Liszt s’épanouit avec force dans cet ouvrage encore imprégné des influences post-romantiques de sa première manière (à l’inverse de ses quinze dernières années, davantage tournées vers un allègement orchestral et un certain flottement tonal, comme dans son ultime chef d’oeuvre, l’opéra Doktor Faust).

Le Concerto pour piano fait entendre autant un élan brahmsien aérien au niveau de la forme, qu’un gigantisme puissamment évocateur évoquant Strauss ou Mahler. Le tempérament italien irrigue également cette pièce généreuse par sa capacité à entrecroiser les différents motifs, en un lyrisme imprévisible et toujours palpitant. Difficile à appréhender, l’ouvrage mérite mieux qu’une approche superficielle et gagne à la réécoute, tant il fourmille d’idées et d’audaces. Il fallait certainement un chef de la trempe de Sakari Oramo pour oser s’attaquer aux difficultés multiples, quasi expérimentales par endroits, et donner une telle sensation d’évidence dans les enchaînements, tous fluides. Si le Finlandais a eu la tristesse de voir disparaître le jour même l’un de ses illustres compatriotes en la personne de Leif Segerstam (1944-2024), il n’en laisse rien paraître en embarquant les forces du National en un engagement de tous les instants, entre tempi vifs et ruptures marquées. Il sait aussi s’apaiser pour révéler les passages plus apolliniens, telle que la fin touchante du premier mouvement. On aime aussi sa propension à embrasser les aspects plus dansants, notamment dans la Tarentelle, qui précède le dernier mouvement étonnamment doux, avec le chœur d’hommes. Ce chœur fait entendre un Busoni moins moderne dans ses réparties homophoniques : de quoi trahir le réemploi d’un morceau composé plus tôt dans sa carrière, pour un opéra resté inachevé.

Kirill Gerstein semble ne faire qu’un avec cette musique qu’il connaît par cœur, de bout en bout, lui qui inscrit régulièrement les pièces pour piano de Busoni à ses programmes. Autant sa technique percutante que son tempérament sont un régal de chaque instant, que l’on pourra retrouver à la réécoute sur France Musique, à moins de rejoindre Berlin (les 17 et 19 octobre) ou Londres (le 1er novembre), où Gerstein et Oramo conduiront les orchestres locaux pour le même programme. On notera toutefois que ces villes ont choisi de l’étoffer, en y adjoignant une pièce de Debussy à Berlin et une symphonie de Grażyna Bacewicz (1909-1969) à Londres. N’était-il pas possible de faire la même chose à Paris ? C’est là le seul regret de cette soirée malgré tout très réussie, qui donne envie de découvrir plus avant la musique de Busoni.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire