Au Teatro Regio de Turin, le projet de réunir les trois principales Manon du répertoire lyrique permet de mettre en lumière l'un des derniers succès de la longue carrière d'Auber. Le plateau vocal engagé, en grande partie francophone, vibre sous la baguette frémissante de Guillaume Tourniaire, grand artisan de la réussite de la soirée.
Il faut courir entendre la musique toujours aussi
délicieuse d'Auber, qui n'a pas son pareil pour animer son inspiration
mélodique d'une grâce toujours fluide et légère : alors au sommet de sa
carrière en 1856, le compositeur ne s'embarrasse pas d'incorporer les
nouveautés de son temps et conserve son langage musical traditionnel.
Pour mener sa Manon au succès, il s'adjoint le talent de son
habituel librettiste, Scribe, qui prend plusieurs libertés avec
l'histoire originelle de l'abbé Prévost, notamment l'ajout d'un
personnage féminin, Marguerite. Mais ce sont surtout les aspects
sulfureux de la vie dissolue de Manon et Des Grieux qui sont lissés, au
profit d’une conclusion bourgeoise, teintée de conformisme religieux.
Si le début de l'ouvrage est quelque peu poussif dans la présentation
des différents personnages, il prend ensuite davantage d'ampleur par
l'alternance fluide entre dialogues et airs, avec plusieurs duos et
ensembles finement troussés. La fin de l'opéra touche au cœur en
trouvant des teintes plus crépusculaires, d'une simplicité sans
ostentation dans l'orchestration, sans parler de la clarté toute
française, toujours en soutien des interprètes. Le tour de force de
Guillaume Tourniaire consiste à faire vivre ces délices de raffinement
d’un étagement infini de nuances, aux rythmes scintillants.
La distribution réunie parvient à relever le double défi d’une maîtrise
vocale autant que théâtrale – du fait de l’importance des dialogues
parlés. Rocío Pérez (Manon) domine la distribution de toute son agilité
soyeuse, particulièrement dans les vocalises, tandis que Sébastien Guèze
(Des Grieux) fait valoir la beauté de son timbre, malgré une émission
souvent serrée. On aime aussi les graves mordants d’Armando Noguera,
très investi en marquis d’Hérigny. À cet égard, afin de bénéficier de la
meilleure acoustique à Turin, il convient de préférer un placement au
plus près de la scène ou dans les hauteurs des loges. Une manière de
profiter au mieux de la salle splendide du Teatro Regio, au geste
architectural d'une modernité à couper le souffle.
La mise en scène d’Arnaud Bernard se montre un peu plus efficace que
pour le volet dédié à Puccini, en tournant son inspiration vers le
cinéma muet : l’exagération des mimiques des interprètes, en même temps
que les recommandations souvent obséquieuses du réalisateur, créent des
saynètes vivantes et délicieusement farfelues, même si un sentiment de
lassitude vient là aussi saisir le spectateur au fil du spectacle, face à
l’utilisation en boucle de cette idée.
De quoi nous rappeler que Turin a été l'une des cités fondatrices du
cinéma en Italie, expliquant l'existence du plus grand musée dédié au
Septième art en Europe, hébergé dans le bâtiment emblématique de la
ville, la Mole Antonelliana.
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