dimanche 10 août 2025

Concert du Philharmonia Orchestra (2) - Santtu‑Matias Rouvali - Festival de Mikkeli - 08/08/2025

Santtu‑Matias Rouvali

Située à un peu moins de trois heures de train de l’aéroport d’Helsinki, la ville de Mikkeli (51 000 habitants) a tout pour séduire en été, de la visite de ses manoirs anciens (dont ceux de Kenkävero), à l’exploration de la nature qui s’expose en majesté tout autour, dans la vaste région des lacs. De quoi s’adonner à la navigation ou à la randonnée dans les nombreuses forêts à perte de vue, majoritairement composées de bouleaux, pins et sapins. On comprend mieux, dans ce contexte, pourquoi la biographie officielle du chef finlandais Santtu‑Matias Rouvali se conclut de la manière suivante : « Quand il ne dirige pas, Santtu aime passer son temps à méditer, à cueillir et à chasser dans la forêt près de chez lui en Finlande, puis à cuisiner les aliments qu’il ramène à la maison ». Cette précision insolite et inhabituelle est sans doute révélatrice de l’état d’esprit finlandais, là où nos biographies sont habituellement plus réservées en ce domaine.

Quoi qu’il en soit, on retrouve avec plaisir l’art du chef principal du Philharmonia, placé cette fois dans le cadre de la salle de concert moderne de la ville, d’un peu moins de 700 places. Si le Finlandais a fait parler de lui avec une intégrale Sibelius remarquée, il s’est aussi illustré en enregistrant deux suites de ballets de Stravinsky l’an passé, pour l’éditeur Signum Classics. La poursuite de l’exploration de ce répertoire se fait cette fois avec le Divertimento (1934) tiré du ballet néoclassique Le Baiser de la fée (1928, révisé en 1950), en un style tout de légèreté et d’élégance, qui fait la part belle aux nuances. Les ruptures de ton sont nombreuses, ce qui explique pourquoi la souplesse des transitions de Rouvali compte beaucoup ici. Le Finlandais se délecte de ce bijou d’orchestration, souvent imprévisible dans ses changements de direction incessants.

Senja Rummukainen
Le contraste n’en est que plus marquant avec les premières notes, plus sombres, du Premier Concerto pour violoncelle (1959) de Chostakovitch : Rouvali fait montre d’un accompagnement dynamique, mettant en valeur à la fois la vivacité et le rebond rythmique, sans aucune lourdeur. Les tempi assez vifs offrent une vision étonnamment moins grave qu’à l’habitude, ce qui permet à la soliste Senja Rummukainen (née en 1994) de se distinguer sans avoir à s’imposer face à l’orchestre. Son tempérament parfois grinçant (au propre comme au figuré) alterne avec la mise en valeur de belles couleurs, notamment dans la méditation expressive du Moderato qui suit. L’accompagnement superbe, aussi doux qu’enveloppant, fascine par son à‑propos sans ostentation. Les tempi se ralentissent ostensiblement après le solo de cor, lorsque le célesta intervient à son tour. La fin de la cadence rapidissime donne un élan irrépressible à l’ensemble, avant que le Finale retrouve un ton proche du début, entre ruptures et répétitions entêtantes. En bis, la violoncelliste rend hommage à sa compatriote Kaija Saariaho, avec le deuxième mouvement de ses 7 Papillons (1999) : une conclusion aux sonorités étranges et envoûtantes, rappelant des ondulations sur l’eau.

Après l’entracte, les Tableaux d’une exposition (1874, orchestrés en 1922) de Moussorgski célèbrent le goût de Rouvali pour les variations d’atmosphère, en un sens consommé de la conduite du discours musical. La volonté d’allégement est perceptible, ciselant chaque tableau et chaque transition, d’une attention infinie au moindre détail, le tout porté par un orchestre en grande forme. En bis, ce beau programme russe trouve en Chostakovitch une conclusion délicieusement superficielle, aux traits étonnamment espiègles, avec l’étourdissante ouverture de l’opérette Moscou, quartier des cerises (1958).

samedi 9 août 2025

Concert du Philharmonia Orchestra (1) - Santtu‑Matias Rouvali - Festival de Mikkeli - 07/08/2025

Si l’Allemagne fait figure de paradis pour le mélomane aventureux, le cas de la Finlande ne laisse pas de fasciner également, tant son apport en ce domaine reste hors de proportion par rapport à sa démographie relativement réduite, d’un peu plus de 5 millions d’habitants. En dehors du héros national Jean Sibelius, le pays peut en effet s’enorgueillir d’une répartition sur tout le territoire de nombreux orchestres de qualité, tout comme de la formation de chefs d’orchestre de renommée internationale, Esa‑Pekka Salonen en tête. Signe de cet intérêt, l’arrivée à l’aéroport d’Helskinki permet de découvrir des extraits en grand écran des Ostrobotniens de Madetoja, premier jalon essentiel composé en langue finnoise en 1924 : de quoi se replonger avec bonheur dans le souvenir de l’excellente production de l’Opéra d’Helsinki, présentée en décembre dernier pour fêter le centenaire de la création de l’ouvrage.

Autour de ces joyaux célébrés tout au long de l’année, la Finlande attire de nombreux mélomanes lors des festivals d’été, notamment pour le plus célèbre d’entre eux à Savonlinna, dédié à l’art lyrique. Moins connu dans nos contrées, le Festival de Mikkeli est situé dans la même région au sud‑est, autour de l’immense lac Saimaa, le plus grand du pays. Chaque été depuis 1992, le festival a d’abord été dédié à la musique de chambre, avant d’élargir sa programmation à l’orchestre. De 1993 à 2022, il a ainsi été placé sous la direction artistique de Valery Gergiev, avec l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint‑Pétersbourg. Depuis 2023, un partenariat a été noué avec le prestigieux Orchestre Philharmonia de Londres, dirigé par le chef finlandais Santtu‑Matias Rouvali depuis 2021.

Conformément à la tradition, l’édition 2025 célèbre un thème d’inspiration, cette année les légendes, ce qui permet de revisiter les mythes du Kalevala ou de Roméo et Juliette, en passant par Le Seigneur des anneaux. On retrouve précisément l’un des personnages emblématiques de la mythologie finlandaise en la personne de Kullervo, dont l’épopée a été mise en musique en tout début de carrière par Sibelius, en 1892. Même s’il s’agit là de sa toute première réussite d’ampleur, ce poème symphonique pour chœur et solistes a rapidement été rangé dans les tiroirs par le compositeur, manifestement insatisfait de cet opus aux effluves postromantiques. La première représentation intégrale de l’ouvrage a eu lieu en 1958, avant le premier enregistrement discographique de Paavo Berglund, en 1970. Depuis, l’ouvrage fait figure de rareté, malgré ses qualités indéniables de souffle épique, à la grandeur tragique immédiatement accessible.

Le concert se tient dans le cadre majestueux de l’église paroissiale de Mikkeli, construite en 1817, dont l’intérieur entièrement dévolu au bois offre une acoustique des plus flatteuses (malgré une légère propension à avantager les cuivres). Placé sur le côté, le Chœur YL, fondé en 1883 à l’Université d’Helsinki, laisse entendre toute son affinité avec ce répertoire : le style homophonique viril donne un aspect volontairement brut, en phase avec le sujet. A la baguette, la figure toujours juvénile et lumineuse de Santtu‑Matias Rouvali, malheureusement trop rare dans nos contrées (voir notamment le très beau programme consacré au répertoire national, donné à Montpellier en 2019), embrase le concert de toute son inspiration vibrante, entre les accélérations dantesques de tutti volontiers abrupts, en contraste avec l’élégance féline des parties plus apaisées.

Les premiers accords détaillés dans les graves marquent son goût pour l’émergence de détails inattendus dans les piani (une constante de la soirée), sans jamais perdre d’attention l’élan global. On ne sait qu’admirer, entre l’attention à la mise en place des crescendi et decrescendi, d’une perfection formelle fascinante, de même que l’art des transitions entre les phrases, toujours délicatement ouvragées. L’ambiance plus mélancolique du mouvement suivant (« La Jeunesse de Kullervo ») permet de savourer le goût du chef pour des lignes claires et sans vibrato, soutenu par les cordes superbes du Philharmonia. Toutes les mélodies sont mises sur le même plan, sans avantager la principale, ce qui rapproche l’ouvrage d’un poème symphonique lisztien.
Johanna Rusanen
Après cette merveille de dentelle ouvragée, les amours incestueux de Kullervo et de sa sœur viennent sonner comme un coup de tonnerre : l’idée de faire intervenir deux membres d’une même fratrie, les chanteurs Johanna et Ville Rusanen, donne évidemment plus de force à ce long mouvement, sinueux et complexe. Familière du rôle, qu’elle a déjà chanté plusieurs fois, Johanna Rusanen fait valoir une voix chaude et puissante, volontiers brute de décoffrage, face à son frère, plus mesuré en comparaison, à la ligne plus homogène. Le mouvement suivant, dédié à la guerre menée par Kullervo, fait entendre un Sibelius inhabituellement spectaculaire dans la variété des moyens déployés, sans jamais perdre de vue son souffle épique. La mort du héros laisse entrevoir davantage d’émotion, en une volonté de grandeur théâtrale, qui fait regretter que Sibelius n’ait pas poursuivi plus avant dans la voie lyrique (en dehors d’un opéra en un acte méconnu de 1896).

En première partie de soirée, une autre œuvre de jeunesse de Sibelius a permis à l’orchestre de se chauffer : le poème symphonique En saga (1892, révisé en 1901) fait découvrir un Sibelius plus intime, dont Rouvali exalte les jeux de sonorités aux cordes. La légèreté aérienne qui se dégage de cette lecture offre quelques ruptures plus sombres aux cuivres, en un aspect un rien trop séquentiel. Les tempi initialement mesurés s’accélèrent peu à peu lors de l’émergence d’un thème plus lyrique, entonné aux altos. L’attention aux nuances reste perceptible, de même que l’atmosphère globalement coloriste. Le chef finlandais n’en oublie pas cependant de faire ressortir toutes les influences à l’œuvre dans ce bijou de jeunesse : ainsi des effluves orientalistes proches de Rimski‑Korsakov audibles lors des parties spectaculaires du mouvement conclusif, avant une déconstruction progressive de la texture orchestrale, qui s’achève dans les murmures pianissimo de la clarinette, puis des trémolos quasi imperceptibles aux cordes.

lundi 4 août 2025

« Les Grandes Eaux Nocturnes » - Château de Versailles - 02/08/2025

Chaque année, du printemps jusqu’à fin octobre, les Jardins du château de Versailles reprennent vie pour offrir un spectacle unique : les Grandes Eaux Musicales, avec en été les Grandes Eaux Nocturnes, chaque samedi soir. Pendant ces festivités, les cinquante-cinq fontaines et bassins du domaine, soit environ six cents jeux d’eau, sont mis en mouvement au son de musiques baroques enregistrées, de Lully à Rameau. La déambulation libre pendant plusieurs heures permet d’apprécier la magnificence des jardins imaginés par Le Nôtre, d’une perfection géométrique mise en valeur par les éclairages.

Le spectacle attire un public considérable : jusqu’à 20 000 visiteurs se pressent dans les jardins, répartis sur deux parcours distincts, que l’on peut parcourir dans un sens ou dans l’autre. Bien évidemment, il est préférable d’avoir la chance de bénéficier d’une fréquentation réduite, comme c’est le cas pour notre venue (7 000 spectateurs), sans doute en raison d’une météo incertaine, mais finalement clémente.

Derrière la beauté apparente du spectacle se cache une prouesse hydraulique encore exceptionnelle de nos jours, révélatrice de la passion dévorante de Louis XIV pour cet art. Ce sont en effet plus de trois mille mètres cubes d’eau par heure qui circulent dans le réseau des fontaines lors des Grandes Eaux, un débit exceptionnel rendu possible par un système imaginé et mis en œuvre lors du Grand Siècle du Roi Soleil. Un vaste réseau ancien irrigue ainsi tout le domaine : près de trente-cinq kilomètres de galeries et de canalisations, dont une part provient encore de l’époque de Louis XIV, même si la fameuse « machine de Marly », chef-d’œuvre d’ingénierie du XVIIe siècle, a été détruite en 1967.

Durant les soirées des Grandes Eaux Nocturnes de juin à septembre, les jardins se parent de lumières et de flammes, avant de se conclure par un grand feu d’artifice au-dessus du Grand Canal. À la tombée du jour, le domaine se transforme en un univers féerique où le reflet des fontaines, le rythme baroque des musiques et le jeu des ombres fascinent le public pendant près de deux heures et demie. Le plaisir est davantage pour les yeux que strictement musical, du fait d’une musique enregistrée et diffusée par haut-parleurs, sans logique précise de programmation.

Malgré cette réserve, le jeu de déambulation dans les bosquets s’avère réjouissant de bout en bout, en ce qu’il permet de découvrir une variété étonnante de fontaines, faisant revivre l’esprit du grand siècle, comme les créatures et dieux mythologiques associés. Seule exception, le bosquet du Théâtre d’Eau surprend le visiteur par la révélation d’une œuvre contemporaine, installée de façon permanente dans les jardins de Versailles depuis 2015. Issue d’un concours international, la fontaine Les Belles Danses signe une heureuse collaboration entre l’artiste Jean-Michel Othoniel et le paysagiste Louis Benech.

Outre la découverte des bosquets, il faut impérativement assister aux grands spectacles de jets d’eau présentés toutes les 10 à 15 minutes dans les bassins de Neptune, à droite du château, puis dans celui du Miroir, à l’opposé, aux effets sophistiqués. De quoi comprendre toute la démesure d’une des plus grandes passions du Roi Soleil, qu’il a su cultiver dès 1661, en même temps que les premiers grands travaux entamés à Versailles, puis jusqu’à la fin de sa vie.

lundi 21 juillet 2025

Concert de Julia Campens et Stanley Smith - Festival du Haut-Limousin à Villefavard - 20/07/2025

Louis-Noël Bestion de Camboulas

Après s’être intéressé aux « Rebel de père en fils » pour leur premier album paru en 2013 (Ambronay Editions), l’ensemble Les Surprises s’intéresse cette fois à la dynastie des Bach, dont quatre des fils ont suivi la même destinée artistique. Seuls deux d’entre eux, issus du premier mariage de Jean‑Sébastien, sont ici illustrés musicalement, en une confrontation stimulante avec d’autres contemporains, Georg Böhm, Georg Stölzel et Johann Ludwig Krebs. A la manière d’un pasticcio, le programme regroupe plusieurs extraits recomposés, en « piochant » parmi les nombreuses œuvres des compositeurs précités, plus ou moins illustres. Déjà reconnu du vivant de son père (mort en 1750), Carl Philipp Emanuel fut ainsi plus célèbre de son vivant, ce qui explique pourquoi sa musique trouve une place généreuse dans ce programme.

 
C’est précisément un Allegro endiablé de l’un de ses concertos pour clavecin que l’on retrouve pour ouvrir le programme, dans le style sautillant et enjoué caractéristique de ce précurseur de Haydn. La partie soliste redoutable bénéficie du clavecin félin et véloce de Louis‑Noël Bestion de Camboulas, qui dirige du clavier et dos tourné au public, à l’instar des habitudes de l’époque. D’emblée, le premier violon trop effacé et flottant de Gabriel Grosbard peine à affronter les passages virtuoses, là où les parties plus lyriques le voient plus à son aise. Fort heureusement, le reste des troupes se régale des tempi allants du chef, se jouant de la richesse des lignes entremêlées de Jean‑Sébastien Bach, sans aucun temps mort.

Après les effluves un rien lancinants de la Sinfonia de Georg Böhm, le concert prend une autre dimension avec l’entrée en piste de Marc Mauillon, qui semble comme un poisson dans l’eau dans ce répertoire. L’aisance du chanteur français impressionne autant par l’étendue de sa tessiture (du baryton au ténor) que par la fluidité de ses phrasés, d’une souplesse de transition aux infinies nuances. Sa classe interprétative impressionne durablement grâce au tube du programme, l’aria « Bist du bei mir » de Georg Stölzel, et ce d’autant plus qu’on le retrouve donné en bis, en fin de soirée. Percutant et engagé, le style de Carl Philipp Emanuel sait ensuite s’assagir dans un Andante de sonate d’une belle intériorité, avant de retrouver une virtuosité rythmique enivrante dans l’extrait symphonique.

Avec Telemann, on pénètre un style autrement plus dépouillé, autour d’une mélodie principale particulièrement mise en avant. Mais c’est bien entendu Jean‑Sébastien Bach qui trouve une ampleur symphonique impressionnante de hauteur dans l’aria « Gleich wie die wilden Meereswellen », tandis que Mauillon se joue des vocalises en une belle maestria dans les graves. La conclusion noble et apaisée du choral « Was Gott tut, das ist wohlgetan » nous rappelle que Bach père est bien le maître incontesté de la cantate sacrée, que l’on ne se lasse pas d’admirer.

dimanche 20 juillet 2025

Concert de Julia Campens et Stanley Smith - Festival du Haut-Limousin à Villefavard - 19/07/2025

 

Pour sa vingt-septième édition, le Festival du Haut Limousin organisé par la Ferme de Villefavard propose de nombreuses manifestations originales (dont des balades musicales urbaines), appelées à faire vivre la culture sur un territoire de tradition agricole. Il fallait certainement de l’audace pour imaginer qu’un village de 164 habitants puisse accueillir l’un des festivals les plus attachants de la région, tout autant qu’une résidence d’artistes et un lieu d’enregistrement discographique renommé (voir notamment l’album « Tyrannic Love » en 2022).

Dans les pas prestigieux de l’abbaye d’Ambronay, la Ferme de Villefavard en Limousin est devenue en 2022 le vingtième lieu français à recevoir le label « Centre culturel de rencontre », qui permet de donner une nouvelle destination à des monuments historiques ayant perdu leur vocation d’origine : ainsi de cette « ferme modèle » à sa création, dont les méthodes préindustrielles avaient pour but d’améliorer les conditions de vie des paysans. Créée par des descendants de la femme du chef d’orchestre Charles Munch, la ferme bénéficie aujourd’hui de vastes espaces entièrement rénovés, dont la construction d’un auditorium intimiste d’un peu plus de 300 places. L’excellente acoustique, signée par Albert Yaying Xu, fait bien entendu la part belle au bois, offrant autant une réverbération idéale qu’un aspect chaleureux.

Pour cette édition 2025, on retrouve dans ce cadre un duo de passionnés, en la personne de Julia Campens et Stanley Smith, organisateurs du festival Le Temps suspendu dans la région voisine du Centre-Val de Loire. Fondateurs de l’ensemble The Smoky House, les musiciens essaient de mieux faire connaître, depuis trois ans, le répertoire des airs anglais, irlandais et écossais, patiemment recueillis au XIXe siècle par de nombreux spécialistes, dont John Sutherland et Simon Fraser. Lors de pauses bienvenues pendant le concert, Stanley Smith prend la parole pour expliquer son projet, se félicitant notamment des possibilités actuelles d’accès gratuit en ligne à de nombreuses partitions inédites. On part ainsi en un vaste voyage à la découverte d’un patrimoine méconnu, qui donne une grande part aux danses populaires enjouées.

On imagine plusieurs fois en pensée ce que devaient être ces soirées de groupe, où alternaient récits et légendes issus de la tradition orale avec des moments de déhanchement endiablés sur la piste. Très bien conçu, le programme joue la carte d’émotions tout aussi variables en intensité, faisant notamment entendre un passage presque murmuré à la viole solo ou certaines sonorités proches de la... cornemuse. On note certes un déséquilibre entre l’esprit plus réservé et policé de Stanley Smith, là où Julia Campens gratte davantage son violon, en une vitalité nerveuse, aux accents bienvenus, parfaitement en phase avec ce répertoire. Pour autant, certains aspects répétitifs de cette musique agacent autant qu’ils fascinent, entre transe hypnotique et passages volontiers plus nostalgiques. Le bis tout en douceur donne une conclusion toute en évocation et en sensibilité, à même, manifestement, de ravir le public, où l’on remarquait plusieurs anglophones.

dimanche 13 juillet 2025

Concert du Philharmonique de Radio France - Kirill Karabits - Festival Radio France à Montpellier - 11/07/2025

Kirill Karabits

Annoncée souffrante, Mirga Grazinytė-Tyla renonce finalement à ce concert, dont le programme est incontestablement l’un des plus originaux et stimulants parmi les grandes soirées du Festival Radio France Occitanie Montpellier 2025. Pour la remplacer, on est heureux de retrouver le chef Kirill Karabits (ou Kyrylo Karabyts dans sa version ukrainienne), qui fut chef associé du Philhar’ (2002‑2005), puis du Philharmonique de Strasbourg (2005‑2007). Tout en occupant la direction de l’Orchestre symphonique de Bournemouth entre 2009 et 2024, l’Ukrainien a gardé de bonnes relations avec les formations françaises, en remplaçant au pied levé plusieurs chefs défaillants par le passé (voir notamment à Paris en 2012 ou à Strasbourg en 2022).

C’est donc un chef expérimenté que l’on retrouve à la tête du Philhar’, pour une soirée de musique française et anglaise débutant par les Quatre Interludes marins (1945) de Britten. Les quatre pages tirées de l’opéra Peter Grimes illustrent tout le savoir‑faire du Britannique en matière de virtuosité d’orchestration. Karabits se régale des changements d’atmosphère avec un style toujours probe, en un sens des transitions admirable de fluidité. Dans la troisième pièce (« Clair de lune »), son geste classique et sans ostentation rapproche Britten du style néoclassique de Copland, aux lignes claires et transparentes.

Marie-Ange Nguci

Le contraste n’en est que plus grand avec le Deuxième Concerto pour piano (1868) de Saint‑Saëns, où le compositeur français se tourne vers Beethoven, entre rigueur de la forme et mise en valeur de la mélodie principale. Quelques semaines après avoir entendu Alexandre Kantorow dans le même ouvrage à la Philharmonie de Paris, place cette fois à la pianiste Marie‑Ange Nguci (née en 1997). Née en Albanie mais formée en France, cette interprète s’est manifestement spécialisée dans ce répertoire, puisqu’elle a donné le même concerto l’an passé à Lyon. Disons d’emblée que sa prestation n’a pas comblé toutes les attentes, du fait d’un toucher trop peu imaginatif, qui manque de respiration. Il faut donc avant tout se tourner vers l’aspect technique, admirable de bout en bout, pour apprécier son jeu, que l’on souhaite toutefois voir évoluer vers davantage de profondeur interprétative. En bis, la cadence finale du Concerto pour la main gauche de Ravel séduit davantage par sa vélocité endiablée.

Après l’entracte, le fracas sonore de la Symphonie L’Ange exterminateur (2020) de Thomas Adès (né en 1971), tirée de l’opéra éponyme, vient réveiller la salle de toute son insolence volontairement grotesque. Les effets de masse voulus par le Britannique, entre ruptures incessantes et mélodies hachées, se jouent de tous les contrastes. Parmi les moments les plus réussis figurent le ralentissement progressif des tempi, où le discours narratif semble progressivement se désagréger. Un rien trop sonores, les cuivres impriment leur cadence martiale, face à un chef attentif à la mise en place.

Le meilleur de la soirée est encore à venir, avec La Mer (1905) : le chef‑d’œuvre orchestral de Debussy trouve dans le Philhar’ un interprète pour qui cette musique n’a pas de secret, entre raffinement des textures et mise en valeur des timbres. Karabits empoigne les trois mouvements d’une énergie roborative, en opposant chants et contrechants. Cette lecture exaltante, aux tempi vifs, laisse parfois trop de place aux cuivres, là encore un rien trop sonores. Mais l’ensemble sonne d’une vitalité naturelle et fluide, pour faire vivre cette musique de tout son raffinement rhapsodique.

samedi 12 juillet 2025

Concert de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse - Tarmo Peltoskoski - Festival Radio France à Montpellier - 10/07/2025

Parmi les concerts les plus attendus de la quarantième édition du festival Radio France Occitanie Montpellier figure incontestablement celui qui accueille le jeune chef prodige Tarmo Peltoskoski : du haut de ses 25 ans, le Finlandais formé par l’incontournable Jorma Panula n’en finit plus de surprendre, comme nous le constations en début d’année à Toulouse, lors d’une soirée de lancement de son intégrale des Symphonies de Vaughan Williams, accompagnée par rien moins que Deustche Grammophon. Il aurait d’ailleurs été préférable de continuer à promouvoir cette musique trop méconnue en France, même si Montpellier, dans le cadre du festival estival, a eu la chance d’entendre la Sea Symphony voilà trois ans.

Le programme rend hommage au chef d’orchestre Hans von Bülow, qui fut l’un des plus fervents disciples de Wagner, devenant, entre autres, le créateur de Tristan et Isolde en 1865. Lors d’une présentation au piano d’extraits de la Deuxième Symphonie par Mahler, il ne put s’empêcher une comparaison avec l’illustre modèle, ravalant Tristan au rang d’une symphonie de Haydn. Faut‑il y voir une perfidie, de la part de celui qui s’était fait voler son épouse par le même Wagner ? Quoi qu’il en soit, la volonté de faire entendre le Prélude de Tristan directement enchaîné avec le premier mouvement de la symphonie de Mahler, permet d’en juger par soi‑même. Ce mouvement est l’adaptation de Totenfeier (Cérémonie funéraire), un poème symphonique composé en 1888, six ans avant l’achèvement de la symphonie. Du fait de son tempérament volcanique, très différent par rapport à l’Andante moderato qui suit, Mahler ira jusqu’à demander une pause de cinq minutes entre les deux ! L’entrée opportune du choeur Orfeón Donostiarra permet précisément cet intermède, même si le chœur, admirable d’homogénéité et d’engagement, n’est sollicité que dans le dernier mouvement.

Quoi que l’on pense de ces détails et anecdotes, elles permettent de renouveler notre écoute d’une symphonie que l’on connaît dans les moindres recoins, tant celle‑ci est désormais solidement implantée au répertoire. D’où vient pourtant que la soirée se révèle passionnante de bout en bout ? Le premier mérite en revient évidemment à l’Orchestre du Capitole, dont on ne finit plus de s’extasier sur les qualités techniques, concert après concert. L’autre atout revient à l’affinité déjà évidente avec son jeune chef, tant la formation suit chacune de ses intentions en une confiance aveugle, persuadée d’être entre de bonnes mains. Dirigeant sans partition, Peltokoski imprime ainsi une concentration immédiate, en refusant tout vibrato et pathos. L’allégement des textures et la transparence, aux lignes horizontales, forment une atmosphère toute de recueillement, presque de renoncement par endroits.

Dans le premier mouvement, lisibilité et douceur restent les maîtres mots, au service d’une battue régulière et imperturbable. Les arêtes ne sont pas appuyées, en une optique legato toujours envoutante. De cette lecture chambriste naît une grandeur sans lyrisme aux cordes, par le seul plaisir de la finesse des transitions, ciselées avec la précision d’un orfèvre. Le refus de toute emphase, comme de tout épanchement, imprime des tempi souvent plus vifs dans les tutti, en une lecture analytique, plus intellectuelle que physique. Les détails révélés dans les alliages de timbres n’en sont que plus fascinants, notamment dans la construction admirablement étagée des crescendos.

Marianne Crebassa
On l’a dit, l’Andante moderato qui suit procure un effet de contraste par son apaisement et sa simplicité d’orchestration, principalement confiée aux cordes. Presque murmurés, les phrasés ondulent entre souplesse et modulations aériennes, tandis que Peltokoski montre une facette inhabituellement facétieuse en se tournant vers le public, pour lui signifier un passage tout de malice en pizzicato, aux flûtes et harpes. Il se montre plus encore à son aise dans le Scherzo, qui annonce Chostakovitch dans la rythmique chaloupée aux accents volontairement grotesques. L’opposition entre cordes et vents est bien déliée, tout en minorant les effets solistes, au profit d’une lecture qui joue la carte de la légèreté aérienne, d’une grâce infinie. Toujours passionnante et imprévisible, cette battue réserve quelques moments marquants, tel que ces piani superbement tenus après un tutti fracassant.

Avec Marianne Crebassa, on tient une interprète de grande classe pour donner ses lettres de noblesse à un Urlicht déchirant de simplicité, porté par un timbre suave. Accompagnée du cor anglais, la Montpelliéraine confirme qu’elle est une des cantatrices les plus intéressantes de sa génération. Le Finale, avec sa longueur démesurée d’une trentaine de minutes, n’évite pas un découpage séquentiel, sous la battue un rien trop extérieure de Peltokoski. Si on peut s’extasier à juste titre sur les qualités de mise en place ou sur le refus de toute pompe, les dernières mesures s’éloignent trop du narratif, en mettant en avant les scansions aux cuivres. L’entrée murmurée du chœur apporte un effet saisissant en contraste, bientôt électrisée d’envolées homophoniques plus vigoureuses. Une soirée globalement de très haute tenue, malgré quelques réserves sur les mouvements extérieurs.

lundi 30 juin 2025

« La Passion grecque » de Bohuslav Martinů - Raphaël Pichon - Festival Pulsations à Bordeaux - 28/06/2025

 

Depuis la naissance de l’ensemble Pygmalion en 2006, Raphaël Pichon (né en 1984) poursuit une exploration audacieuse du répertoire autour de projets toujours plus atypiques, comme en témoignent encore tout récemment plusieurs réussites à l’Opéra Comique, dans des raretés schubertiennes ou un opéra reconstruit de Rameau. Directeur artistique du festival biennal Pulsations depuis sa fondation en 2020, Pichon est parvenu à bâtir une relation de confiance avec le public bordelais, manifestement ravi de l’originalité des propositions, à l’instar de l’Orphée et Eurydice de Gluck présenté en 2023 (voir l’intégralité du spectacle sur le site Arte Concert). L’ancien contre‑ténor a eu la bonne idée de reprendre ce spectacle, déjà produit à Paris, dans le cadre inattendu d’une ancienne halle industrielle désaffectée, jadis dédiée à la construction de trains. La longueur démesurée de la salle donne ainsi des possibilités scéniques à même de renouveler l’expérience sensorielle, nous y reviendrons, à l’image de ses équivalents en des contrées plus lointaines, comme à Francfort (voir en 2015 la soirée consacrée à trois opéras en un acte de Martinů).

On retrouve précisément la vaste salle de Floirac pour accueillir un nouveau spectacle, La Passion grecque (1961) de Martinů, en partenariat avec l’Opéra national de Bordeaux (où Pygmalion est en résidence jusqu’en 2027). Le dernier ouvrage lyrique du compositeur tchèque semble retrouver une faveur bienvenue ces dernières années, comme le prouve la récréation en 2023 à Salzbourg de la version originale londonienne. A Bordeaux, Pichon a choisi la mouture finale créée à Zurich en 1961, dans une traduction française qui bénéficie d’une nouvelle orchestration d’Arthur Lavandier. L’allégement des textures (notamment au niveau des vents) permet à la quarantaine de musiciens d’éviter tout effet de saturation. Quelques coupures (environ vingt minutes) autorisent la tenue d’un spectacle sans entracte, ce qui renforce la concentration sur le drame.

Alors qu’il avait travaillé précédemment sur trois adaptations de l’œuvre de Georges Neveux (notamment son chef‑d’œuvre Juliette ou la Clé des songes, donné récemment à Nice), Martinů s’intéresse cette fois à l’un des écrivains les plus célèbres de son temps, le grec Níkos Kazantzákis. Son héritage conserve une certaine notoriété de nos jours, grâce aux adaptations cinématographiques de Zorba le Grec en 1964, puis de La Dernière Tentation du Christ en 1988. Avec La Passion grecque, Martinů convoque un langage puissamment évocateur, aux grandes lignes mélodiques envoûtantes, principalement tenues par les cordes. Le raffinement orchestral s’appuie sur une multitude d’éléments évocateurs aux bois, pour figurer le naturalisme de l’ouvrage, tandis que l’écriture très architecturée des chœurs trouve une grandeur tragique, en lien avec le sujet.

Le livret est centré sur la destinée des habitants d’un village grec d’Anatolie, occupés à rejouer en grandeur nature la Passion du Christ, tandis que des compatriotes chassés par les Ottomans crient famine à proximité. L’aide finalement refusée par l’intransigeant prêtre Lycoris, sur des prétextes fallacieux de risque épidémique, sonne le glas de l’unité du village. La réalité et la fiction se rejoignent peu à peu pour plonger les protagonistes en un drame toujours plus étouffant à mesure que la soirée avance, portée par Raphaël Pichon attentif à la moindre variation d’atmosphère. Très engagé, son orchestre n’est pas pour rien dans le plaisir rencontré, aidé par une acoustique d’une splendide précision. Les excellents chœurs réunis ne sont pas en reste, entre impact vocal et belle maîtrise. On aime aussi le formidable plateau vocal rassemblé pour l’occasion, dont c’est peu dire qu’il est vocalement sans faille, dominé par le Grigoris sombre et vénéneux de Matthieu Lécroart ou le Manolios pétri d’humanité de Julien Henric.

Enfin, la mise en scène de Juana Inés Cano Restrepo, pour ses débuts en France, touche au cœur par son naturalisme sans excès, sans chercher à résonner avec l’actualité contemporaine. Très probe, son travail a surtout pour avantage d’offrir des réalisations visuelles de toute beauté dans l’exploitation du plateau en longueur. Ainsi des tableaux réalisés en arrière‑scène et mis en valeur par les fumigènes et les éclairages en contre‑jour, qui créent des images fortes, telle la potence finalement fatale pour Manolios, en fin d’ouvrage. On aime aussi la direction d’acteur dynamique qui permet de toujours renouveler l’attention sur les moindres seconds rôles (dont l’attachant Alain Buet, que l’on retrouve avec plaisir dans une courte mais toujours intense prestation). Assurément une soirée qui fera date, prouvant que La Passion grecque mérite sa place au répertoire des maisons d’opéra.

jeudi 26 juin 2025

Concert de l’Orchestre Métropolitain de Montréal - Alexandre Kantorow - Philharmonie de Paris - 24/06/2025

Yannick Nézet-Séguin

Tout concert de Yannick Nézet-Séguin est un événement, surtout lorsqu’il reçoit le pianiste Alexandre Kantorow, Premier prix du Concours Tchaïkovski de Moscou en 2019. Le programme, éclectique, s’avère réjouissant en première partie, avant de laisser place à une Pathétique de Tchaïkovski trop extravagante dans ses audaces interprétatives.

Yannick Nézet-Séguin (né en 1975) est resté attaché à son Orchestre Métropolitain de Montréal, dont il est le directeur musical depuis 2000. Il faut au moins l’entendre une fois à la tête de cet ensemble en concert pour comprendre le lien unique avec ses musiciens, qui lui répondent comme un seul homme sans sourciller.

On découvre ainsi une Valse de Ravel dont le début murmuré et allégé offre des effets de soyeux mouvants et ensorcelants. Le premier tutti sonne comme un coup de tonnerre en contraste, en accélérant les tempi. Cette lecture excitante, d’une superbe vitalité, voit le chef québécois à son meilleur dans les rythmes de danse.

Changement d’atmosphère avec la compositrice canadienne Barbara Assiginaak, dont les bruissements et les sonorités fuyantes, en une mélodie volontiers hachée, expriment tout son amour pour la nature dans Eko-Bmijwang. L’ampleur polyphonique qui émerge brièvement laisse place à une conclusion superbe de lumière sereine, incarnée par des flûtes suspendues.

Alexandre Kantorow
Vient ensuite le temps fort de la soirée avec le Concerto n° 2 de Saint-Saëns, qui permet à Alexandre Kantorow de démontrer toute sa vivacité avec un toucher félin et sensuel. Les tutti péremptoires de l’orchestre laissent toujours la part belle au soliste, qui impressionne par son mélange de vigueur et de fluidité, comme une main de fer dans un gant de velours.

L’impression de facilité émerveille particulièrement dans un Allegro délicieusement facétieux, proche de l’esprit du Carnival des animaux. Le dernier mouvement, plus symphonique, voit le chef reprendre l’élan directeur, en des tempi vifs. En bis, Kantorow offre une belle transition avec la deuxième partie, avec une adaptation du Pas de deux de Casse-Noisette. La perfection technique autant que la hauteur d’inspiration restent longtemps dans les esprits d’un public ravi.

Après l’entracte, la déception domine avec une lecture trop déstructurée de l’ultime symphonie de Tchaïkovski, qui laisse entendre les limites de l’Orchestre Métropolitain en termes de virtuosité, particulièrement chez des cuivres braillards. Quelques passages aux cordes flottent également, même si c’est là une volonté de contraste assumée du chef, aux incessantes fluctuations de tempo. En mettant sur le même plan chant principal et contre-chant, le Nézet-Séguin fait ressortir plusieurs détails bienvenus, au service d’une lecture qui se veut novatrice.

Le résultat reste toutefois trop inégal pour convaincre. Le deuxième mouvement est le plus réussi avec ses rythmes de danse tourbillonnants, tandis que la conclusion rageuse du III enchaîne directement sur l’Adagio conclusif. Parmi les surprises, les dernières mesures sonnent comme une colère contenue, aux accents marqués. À l’issue du concert, Nézet-Séguin s’adresse au public pour célébrer la fête nationale du Québec et lui faire chanter en chœur son hymne Gens du pays.  

mardi 24 juin 2025

« Faust » de Charles Gounod - Denis Podalydès - Opéra Comique - 23/06/2025

Vous croyez tout connaître sur Faust (1859), le chef d’œuvre de Charles Gounod ? Il n’en est rien ! Suite à la nouvelle édition proposée par Paul Prévost avec le concours des équipes du Palazzetto Bru Zane, l’Opéra Comique s’intéresse à la version originale avec dialogues parlés et mélodrames. De quoi découvrir des morceaux totalement inédits, ainsi qu’une meilleure lisibilité de l’action dévolue aux personnages secondaires. Autour de la mise en scène élégante de Denis Podalydès, la direction flamboyante de Louis Langrée rend au drame toute sa ferveur grandiose, au service d’un plateau vocal idéal dans la nécessaire diction.

A l’instar d’autres chefs d’oeuvre immortels tels que Carmen ou Boris Godounov, Faust connut de multiples moutures, du fait des modifications opérées par le compositeur lui-même au gré des représentations, de Paris jusqu’à l’étranger. Appelé improprement «opéra» à sa création au Théâtre Lyrique de Paris, l’ouvrage avait en réalité été conçu pour une troupe d’opéra-comique, rompue aux dialogues parlés et au mélodrame. L’écriture des récitatifs, ainsi que d’un ballet, viendra quelques années plus tard, lors d’une recréation triomphale à l’Opéra de Paris. Si Gounod avait souhaité que les deux versions coexistent, ce qui fut le cas pendant quelques années (à Bruxelles notamment), c’est finalement la mouture opératique qui s’imposa durablement. Il faut une nouvelle fois remercier le Palazzetto Bru Zane de s’être penché sur cette rareté, révélée par le très beau disque dirigé par Christophe Rousset en 2019. Une production scénique a également vu le jour l’an passé à Cologne – signe de la popularité de l’ouvrage en Allemagne.

Produit en partenariat avec l’Opéra de Lille, ce spectacle ne reprend pas tout à fait la partition utilisée par le Palazzetto Bru Zane. Il s’agit en réalité d’une version intermédiaire entre celle de la création en 1859 et plusieurs modifications opérées les années suivantes, notamment l’inclusion de la «Chanson du nombre 13», révélatrice de la fascination populaire pour les symboles et les coïncidences, en lieu et place de la ronde du Veau d’or. Plus généralement, la coloration sur instruments d’époque voulue par Christophe Rousset trouve ici une interprétation plus traditionnelle avec l’Orchestre national de Lille, sous la battue engagée de Louis Langrée. En dehors de quelques passages où le plateau est couvert dans les ensembles, le geste hautement architecturé du directeur de l’Opéra Comique fait mouche pour rendre ses lettres de noblesse au drame, porté par un lyrisme incandescent. Pour autant, Langrée n’en oublie pas les parties plus intimistes, aux phrasés souples et aériens, qui font tout le prix de l’art de Gounod. 

Julien Dran et Vannina Santoni

La distribution réunie n’appelle que des éloges, malgré quelques réserves de détail. Ainsi de Julien Dran qui donne à son rôle de Faust, déjà étrenné avec succès sur plusieurs scènes en France, une maestria digne de son attention au texte et au sens. Sa diction parfaite n’est pas pour rien dans le plaisir rencontré, de même qu’un timbre éclatant dans les passages en pleine voix. Seule la voix mixte laisse entendre quelques défauts techniques dans les sauts de registre. A ses côtés, Vannina Santoni impose une Marguerite rayonnante d’éclat, parfois un rien monolithique dans les nuances. C’est là le seul reproche que l’on peut faire à cette interprète, par ailleurs très convaincante dans les dialogues. La scène célébrissime des bijoux la voit aussi maitriser sa voix charnue, sans recours à un vibrato trop prononcé. Egalement très applaudi, Jérôme Boutillier (Méphistophélès) donne une nouvelle leçon de classe et de malice, en lien avec les intentions de la mise en scène, nous y reviendrons. Il faut toutefois accepter le parti-pris d’un rôle plus burlesque dans la version pour opéra-comique pour pleinement apprécier son interprétation toute d’esprit et d’intelligence, aux graves limités et peu puissants. Rien de tel pour Lionel Lhote (Valentin) qui passe la rampe sans difficulté, laissant seulement entendre un aigu trop étroit d’émission. On aime aussi le Siebel de Juliette Mey, d’une élégance suprême de ligne, tandis que Marie Lenormand réjouit en Dame Marthe délicieusement délurée. Enfin, le Choeur de l’Opéra de Lille parvient à relever le défi des tempi parfois dantesques de Louis Langrée, surtout côté féminin, au prix d’une belle cohésion d’ensemble. Assurément l’un des grands atouts de la soirée.

En centrant l’action sur l’humain, la mise en scène de Denis Podalydès ravit par sa simplicité et son classicisme toujours au service de la bonne compréhension des péripéties. La scénographie très sombre, à l’instar des costumes au début, évoque l’état dépressif du rôle-titre, accaparé par ses velléités de suicide. L’apparition de Méphistophélès et de ses deux acolytes permet de les voir littéralement tirer les ficelles de l’action, comme un Monsieur Loyal fiché de ses fidèles serviteurs. L’idée de Podalydès consiste à fuir les artifices fantastiques pour imaginer le diable comme une incarnation de la mauvaise conscience de Faust, libératrice de ses nombreuses frustrations. Le drame n’en devient que plus trivial, avec la tentative d’acheter les grâces de Marguerite par un coffret de bijoux, avant de la rejeter en deuxième partie, une fois lassé de ses atours. Le tout est finement réglé, en un esprit forain, un rien trop figé au I, malgré l’apport bienvenu d’un couple de danseurs. L’assemblage élégant des éléments scéniques permet de figurer autant une église qu’un échafaud, sans artifices inutiles. La deuxième partie du spectacle va plus loin encore dans cette volonté d’épure, en mettant l’accent sur le devenir énigmatique de l’enfant de Marguerite, qui erre sur scène comme une bête en sursis. Un travail d’une belle probité au niveau de la direction d’acteur, toujours au service de l’ouvrage et des interprètes.

dimanche 22 juin 2025

« Sweeney Todd » de Stephen Sondheim - Barrie Kosky - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 20/06/2025

Après Un Violon sur le toit et West Side Story, Barrie Kosky s’illustre une nouvelle fois à Strasbourg dans la comédie musicale américaine : Sweeney Todd (1979), l’un des ouvrages les plus connus de Stephen Sondheim, attire logiquement un public en grande partie rajeuni pour l’occasion. Popularisée par l’excellent film de Tim Burton en 2007, la farce horrifique et sanguinolente du dernier maître du Musical s’épanouit en un spectacle volontairement minimaliste, un rien trop sage en première partie, avant de s’animer ensuite.

En dehors d’Into the Woods (voir notamment la production présentée à Bâle) et dans une moindre mesure de Company (en ce moment en tournée dans toute la France), les ouvrages du compositeur Stephen Sondheim restent en haut de l’affiche grâce à son célèbre barbier de Fleet Street, véritable serial killer avant l’heure. Si l’Opéra national du Rhin va poursuivre l’an prochain l’exploration de ce répertoire méconnu dans nos contrées, avec Follies (1971), il faut d’ores et déjà se précipiter pour applaudir ce spectacle réussi, malgré quelques défauts. L’art de Sondheim trouve en effet une inspiration d’une redoutable efficacité, en se régalant des multiples changements d’atmosphère, entre tragique et humour noir, tout en montrant une tendresse bienvenue pour son anti-héros, victime d’une erreur judiciaire fatale pour son équilibre mental. Dans cette partition aux proportions dignes d’un opéra, le chef d’orchestre libano-polonais Bassem Akiki n’en fait jamais trop dans le lyrisme des parties romantiques, le plus souvent dévolues au jeune couple de tourtereaux, tout en prenant un soin particulier aux transitions, décisives ici. 


On retrouve avec bonheur l’un des plus grands metteurs de son temps en la personne de Barrie Kosky, directeur artistique de la Komische Oper Berlin. Son parti-pris consiste à éviter d’alourdir le propos par une proposition visuelle surchargée : le texte et les péripéties proches du grand guignol se suffisent à eux-mêmes, sans avoir besoin d’en rajouter. On aurait toutefois aimé davantage d’audace pour illustrer l’une des scènes les plus drôles de la première partie, lorsque Mrs Lovett apprend à son comparse comment dépecer un cadavre. Ce monument d’humour noir tombe ici à plat, alors qu’il est censé provoquer le rire à gorge déployée. Fort heureusement, la proposition de Kosky trouve une profondeur inattendue en deuxième partie, lorsque le sous-texte de misère sociale gagne en ampleur par une critique des effets mortifères du capitalisme : tout l’empressement populaire émerge en une force brute et compacte, mue par la seule volonté de se sustenter, évoquant autant la paupérisation au temps de Dickens que celle de l’entre-deux-guerres (voir sur ce sujet l’un des chefs d’oeuvre méconnus de Kurt Weill, Le Lac d’argent, présenté l’an passé à Nancy. Il faut à cet effet saluer le remarquable travail effectué par le Choeur de l’Opéra national du Rhin, véritable commentateur du drame qui se joue sous nos yeux, dont on peut observer la sollicitation plus étendue par rapport à l’adaptation cinématographique de Burton.

Dans le rôle-titre, Scott Hendricks interprète un héros usé par son ses espérances brisées, qui impose une présence mutique souvent animale, à l’émission volontiers rauque par endroit, souvent trop poussive dans l’aigu. A ses côtés, Natalie Dessay (Mrs. Lovett) souffle le chaud et le froid, tant sa voix peine à affronter les difficiles changements de registre, aux graves notoirement absents. Elle se rattrape par une performance d’actrice toujours aussi impressionnante d’à-propos : on ne sait qu’admirer entre l’art de la gouaille nécessaire à son rôle de matrone ou le pathétique contenu pour interpréter cette «pauvre fille», qui ferait littéralement n’importe quoi pour obtenir l’amour de Sweeney Todd, obnubilé par son seul désir de vengeance. Le spectacle permet de retrouver une autre grande artiste en la personne de Jasmine Roy, mendiante de luxe qui parcourt tout le plateau de sa folie lunaire. Si Zachary Altman ne convainc guère en Juge Turpin, du fait de décalages trop fréquents, on lui préfère le bedeau haut en couleur de Glen Cunningham ou la lumineuse Johanna interprétée par Marie Oppert. Enfin, le spectacle gagne en éclat grâce à la présence de deux chanteurs chevronnés dans ce répertoire, d’une part Noah Harrison (Anthony Hope), à qu’il ne manque qu’un rien de puissance, et d’autre part Cormac Diamond (Tobias Ragg), dont l’élégance des phrasés et la présence touchante restent longtemps dans les esprits, à l’image de son errance finale et solitaire sur le plateau, en digne héritier de Sweeney Todd.

mercredi 18 juin 2025

« Semiramide » de Gioachino Rossini - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 17/06/2025

Karine Deshayes

Présentée à Rouen en début de mois dans la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, l’excellent plateau vocal réuni autour de la chef italienne Valentina Peleggi (née en 1983) fait son retour à Paris, cette fois en version de concert, au Théâtre des champs-Elysées. Si l’on peut regretter cette proposition minorée au niveau visuel, il faut se féliciter de pouvoir entendre sur scène Semiramide, cet ouvrage de tout premier plan malheureusement trop peu représenté, à l’instar des autres opéras serie de Gioacchino Rossini.

Dernier opéra du cygne de Pesaro composé pour l’Italie, en 1823, avant le départ pour Londres, puis Paris,Semiramide impressionne par son ampleur (environ 4 heures de musique, ici légèrement écourtée), tout autant que son inspiration à mi-chemin entre la tragédie lyrique et le grand opéra à la française. La place des chœurs est ainsi prépondérante, à l’instar d’autres ouvrages dans le même style (voir notamment Moïse et Pharaon), mais ce sont surtout des cantatrices de grande envergure qui l’ont remis au goût du jour à partir des années 1960-70, telle que Joan Sutherland. En France, seul le mélomane voyageur peut se targuer d’avoir entendu dernièrement cette brillante adaptation de Voltaire, de Marseille à Nancy, en passant par Saint-Etienne.

Ces productions anciennes avaient déjà permis d’entendre dans les deux rôles principaux Karine Deshayes et Franco Fagioli, indispensables à la réussite d’un tel feu d’artifice au niveau vocal. En effet, si l’art rossinien nécessite de savoir orner en raffinement, il requiert également une virtuosité éloquente que les deux chanteurs précités, malgré quelques imperfections de détail, possèdent indiscutablement. Ainsi de l’incomparable Karine Deshayes, dont on ne se lasse pas de retrouver le tempérament dramatique, vibrant et toujours sincère, pour porter l’ouvrage de toute sa classe technique et interprétative. On pourra bien entendu faire la fine bouche sur certaines duretés, ici et là, ou de quelques passages légèrement en force : mais quelle performance pour venir à bout d’un tel Everest vocal, sans jamais se départir du style et de son élégance naturelle ! A ses côtés, Franco Fagioli est une autre « bête de scène », qui semble n’avoir peur de rien, pas même des transitions audibles entre registres, entre voix de poitrine et voix de tête. Toute la démesure de cet artiste hors norme éclate dans ce rôle finalement à sa mesure, qui finit par désarmer toute critique au niveau stylistique, tant il vit son personnage comme une évidence.

Les autres rôles s’affirment tout autant, sinon davantage, à l’instar de l’interprétation hallucinée de Giorgi Manoshvili (Assur), qui fait valoir ses graves mordants et admirablement projetés, tandis que Grigory Shkarupa (Oroe) n’est pas en reste dans le brio et la puissance parfaitement maitrisée, autour d’une attention soutenue à la diction. On aime aussi l’agilité et la souplesse aérienne d’Alasdair Kent, dont la voix légère peine toutefois dans les ensembles.

En dehors de ce plateau vocal de toute beauté, l’autre atout décisif de la soirée vient de la battue flamboyante de Valentina Peleggi, qui trouve des délices de raffinement pour alléger les textures dans les parties modérées, avant de s’enflammer ensuite en contraste, sans jamais couvrir les chanteurs et le Chœur Accentus (une fois encore parfait de précision et d’engagement).

samedi 7 juin 2025

« Requiem » de Gaetano Donizetti - Speranza Scappucci - Festival de Saint-Denis - 05/06/2025

 

Pour sa cinquante-septième édition, le Festival de Saint-Denis poursuit son exploration originale du répertoire classique, en proposant des ouvrages méconnus tels que le drame sacré Le Devoir du premier commandement (une œuvre de jeunesse de Mozart composée en 1767) ou le rare Requiem (1835) de Donizetti. Il faut semble‑t‑il se tourner vers la Basilique pour entendre cette messe des morts, déjà donnée en 2016 sous la baguette de Leonardo García Alarcón, dans une version volontairement « chambriste ».

Cette année, les forces conséquentes de l’Orchestre national d’Ile‑de‑France (ONDIF) et du Chœur de l’Orchestre de Paris (une centaine de choristes) permettent de retrouver les couleurs originelles de cette œuvre inachevée, qui n’a pas été publiée du vivant de Donizetti. Composé pour honorer la mort de son rival et ami Bellini, ce Requiem surprend par son inspiration inégale, qui se trouve toutefois rehaussé par la direction intense de Speranza Scappucci. C’est peu dire que la cheffe italienne croit en sa valeur, en cherchant à unifier les incessantes variations d’atmosphère par son attention aux transitions. Tout l’équilibre de l’ouvrage repose sur la narration, exposée avec un sens de la respiration et des nuances, qui fait tout le prix de cette interprétation. Les forces de l’ONDIF montrent une discipline toujours éloquente sous sa battue, faisant ressortir plusieurs détails dans les piani, tandis que les tempi mesurés se jouent admirablement du temps de réverbération de l’acoustique de la Basilique. On aime ainsi tout particulièrement le raffinement de plusieurs passages à l’orchestration originale, tel que l’Offertorio pour basse solo et... trombone.

Parmi les grandes satisfactions de la soirée, le Chœur de l’Orchestre de Paris donne du plaisir à force d’investissement et de maîtrise, particulièrement dans les passages fugués. Pour ce qui est des solistes, les voix de femmes sont étonnamment moins servies que les hommes, même si Alisa Kolosova parvient à se distinguer par son timbre de mezzo chaleureux et bien projeté. C’est évidemment en ce dernier domaine que Jean Teitgen domine, avec un sens de la ligne toujours noble. Vito Priante n’est pas en reste dans l’élégance, à l’instar des magnifiques piani de Bogdan Volkov, qu’on est heureux d’entendre dans une autre prestation que son rôle fétiche d’enfant autiste du Tsar Saltane (voir récemment encore à Madrid).

dimanche 25 mai 2025

« La Flûte enchantée » de Mozart - Mathieu Bauer - Angers Nantes Opéra - Théâtre Graslin à Nantes - 24/05/2025

 

Dix ans après la reprise du spectacle de Patrice Caurier et Moshe Leiser, Angers Nantes Opéra s’offre une nouvelle production de La Flûte enchantée. Déjà présentée à Rennes début mai, cette proposition imaginée par Mathieu Bauer, dont c’est la deuxième incursion dans le domaine lyrique après The Rake’s Progress de Stravinski (toujours à Rennes, en 2022), émerveille par sa fantaisie lumineuse : en plongeant l’auditeur dans les mystères d’une fête foraine au charme d’antan, le récit s’entremêle dans les méandres des différents manèges, en un décor unique revisité avec brio.

Le metteur en scène français Mathieu Bauer (né en 1971), directeur du Théâtre de Montreuil entre 2011 et 2022, poursuit son exploration du répertoire lyrique avec bonheur, lui a qui a toujours montré une propension à inclure la musique dans ses pièces de théâtre, en n’hésitant pas à jouer de la batterie dans la plupart de ses spectacles. Si la partition de Mozart n’offre guère l’opportunité d’inclure de telles audaces, ce dont les puristes ne se plaindront guère, c’est davantage du côté théâtral que Bauer s’exprime, en cherchant à rendre plus lisible le récit, aux nombreux personnages. L’idée de présenter chacun d’entre eux au début, via le personnage de Sarastro transformé en maître de cérémonie, permet ainsi une meilleure compréhension pour le profane, tandis que le dévoilement de l’ensemble des éléments scénographiques incite à mettre à distance les artifices de la scène et mieux se concentrer sur le texte.


On se régale de la finesse et de la malice de chaque détail du décor, exploré par les personnages tout du long, tout autant que des costumes décalés, qui rendent hommage aux années 1960‑1970 (façon hôtesses de l’air pour les trois Dames ou membres du vaisseau Star Trek pour les religieux). Bauer évite de démêler les allusions maçonniques, souvent évoquées dans le double récit initiatique de Tamino et Papageno, pour privilégier une sorte d’ambiance rêveuse et bon enfant, dont l’issue favorable ne fait aucun doute. Dans cette optique, tout aspect manichéen est minoré, pour brosser le profil de méchants délicieusement inoffensifs, aux maladresses burlesques et attachantes (au début du II notamment). Bauer a aussi la bonne idée de développer la scène d’ivresse de Papageno, osant des allers‑retours savoureux dans les dialogues en français et allemand. Outre quelques clins d’œil poétiques lors d’une chorégraphie façon boîte à musique, on aime la fin en forme de concorde entre tous les personnages, chœur compris, comme si la multiplicité des trajectoires possibles pour réussir sa vie se voyait conciliée, sans privilégier celle du philosophe Tamino ou du terrestre Papageno.


Outre le plaisir visuel, la réussite du spectacle vient du plateau vocal de tout premier plan réuni à Nantes, autour de chanteurs d’une jeunesse vocale rayonnante. Ainsi d’Elsa Benoit, qui donne à sa Pamina toute l’aisance de phrasés raffinés et aériens, d’une homogénéité admirable sur toute la tessiture. On aime aussi la superbe Reine de la nuit de Lila Dufy, d’une élégance de ligne toute aussi prenante, entre souplesse et rondeur d’émission, sans jamais donner l’impression de forcer. C’est précisément en ce dernier domaine que Maximilian Mayer (Tamino) déçoit dans l’aigu, tout en se montrant très solide par ailleurs. On lui préfère toutefois le Papageno déchirant d’humanité de Damien Pass, véritable révélation de la soirée. Son aisance scénique donne beaucoup de crédibilité à son personnage mi‑adolescent, mi‑enfant, au ton toujours juste. Quel bonheur, aussi, de se délecter de la noblesse de ligne de Nathanaël Tavernier (Sarastro), au timbre suave et parfaitement projeté. Outre la délicieuse Amandine Ammirati (Papagena), Benoît Rameau s’impose dans son rôle trouble de Monostatos, à l’instar du Chœur de chambre Mélisme(s), toujours très impliqué.

Malgré quelques verdeurs en tout début d’Ouverture, l’Orchestre national de Bretagne se chauffe peu à peu pour épouser la vision chambriste du jeune chef québécois Nicolas Ellis (né en 1991), entre fluidité des transitions et mise en valeur du plateau vocal. Il faut courir applaudir ce spectacle très réussi en salle ou en plein air, qui sera retransmis gratuitement le mercredi 18 juin prochain sur pas moins de quatre‑vingt‑cinq écrans de l’ouest de la France jusqu’en Allemagne (à Sarrebruck).

jeudi 22 mai 2025

« Le Chevalier à la rose » de Richard Strauss - Krzysztof Warlikowski - Théâtre des Champs-Elysées à Paris - 21/05/2025

Il n’est finalement pas beaucoup d’occasions d’entendre à Paris l’un des plus beaux ouvrages lyriques de Richard Strauss, Le Chevalier à la rose : en dehors de la production d’Herbert Wernicke présentée à de nombreuses reprises à l’Opéra Bastille ces dernières années, le Théâtre des Champs-Elysées avait accueilli en 2009 une version de concert dirigée par rien moins que Christian Thielemann, avec Renée Fleming dans le rôle de la Maréchale.

Place cette fois au trublion polonais Krzysztof Warlikowski (né en 1962), qui s’offre une nouvelle bronca au moment des saluts, face à un public divisé sur l’appréciation de sa mise en scène. Fallait-il pour autant se laisser aller à foncer tête baissée vers le chiffon rouge tendue par le Polonais, aux provocations nombreuses mais jamais gratuites ? L’un des partis-pris du spectacle consiste ainsi à représenter le personnage d’Octavian en femme, dès le début du I : c’est là une manière de jouer sur les ambiguïtés de Strauss et son librettiste, capables de confier ce rôle à une mezzo-soprano en travesti, là où le choix d’un ténor léger aurait pu aisément s’imposer. Dès lors, les amours lesbiens de la Maréchale s’épanouissent pendant l’interlude, lors d’une vidéo explicite sur leur relation. Si l’idée apporte une certaine confusion pour le profane, en difficulté pour comprendre les enjeux du livret, elle ne séduit pas davantage un public déjà connaisseur de l’ouvrage, tant cette modification apporte peu, en dehors d’une actualisation contemporaine sur l’identité de genre.


Une autre idée de Warlikowski consiste à réduire la fascination pour le personnage de la Maréchale, dont la hauteur de vue finale ne doit pas faire oublier son côté sombre, entre adultère et penchants pédophiles (Octavian n’a que 17 ans). Les dernières projections vidéo, où on voit l’épouse retrouver son mari âgé, nous montrent le dur retour pour affronter la banalité du quotidien, loin de toute échappatoire. Dans le même temps, le ridicule du personnage d’Ochs (proche du Falstaff de Verdi) est ici minoré, tout en lui adjoignant un valet noir omniprésent et farfelu, volontiers danseur à ses heures. Si les notes d’intention de la mise en scène évoquent la question du racisme, la réalisation visuelle qui en est proposée au spectateur n’est pas claire.

Afin de pallier le statisme de l’action aux deux premiers actes, la scénographie somptueuse élaborée par Małgorzata Szczęśniak nous plonge dans une reproduction du Studio de la Comédie des Champs-Elysées (230 places), construit en 1913, soit deux ans après la composition du Chevalier à la rose. C’est là un prétexte pour transposer le récit dans l’univers arty de la Belle Époque, au chic superficiel et assumé, volontiers excentrique. Les costumes, également conçus par Szczęśniak, impressionnent par leur inventivité délirante, entre strass, paillettes et couleurs improbables.  Si le recours au théâtre dans le théâtre permet de meubler quelques temps morts, il renforce aussi le livret sur les artifices de l’apparence, autour d’une direction d’acteurs admirablement soutenue. On notera enfin que Warlikowski évite certaines provocations souvent mal comprises (le recours aux piscines ou latrines par exemple), tout en distillant quelques détails troublants (ne faut-il pas voir dans le sweat-shirt Mickey une allusion au scandale provoqué en 2009 à Bastille pour Le Roi Roger de Szymanowski ?). Enfin, le Polonais ose quelques traits d’humour inhabituels, tel que le paquet de mouchoirs envoyé aux tourtereaux en fin de spectacle, comme une forme d’invitation à profiter d’un amour possiblement éphémère.

Face à cette mise en scène parfois confuse mais toujours passionnante, le public réserve un accueil chaleureux au plateau vocal, parmi les meilleurs du moment. Ainsi du vétéran Peter Rose, qui apporte toute sa science de la ligne pour donner à son Ochs des trésors de raffinement, sans jamais surjouer le côté comique, malgré quelques approximations au niveau de la justesse, notamment pour conclure le II. On aime plus encore la Maréchale d’une élégance suprême de Véronique Gens, qui fait oublier une puissance réduite dans les ensembles, par son amour des mots, toujours sculptés avec éloquence et précision. Jean-Sébastien Bou n’est pas en reste en Faninal, en donnant beaucoup de plaisir par son engagement sans ostentation, d’une grande justesse dramatique. La jeunesse vocale rayonnante de Niamh O’Sullivan dévoue à son Octavian des couleurs splendides sur toute la tessiture, autour d’une projection charnue. On se régale aussi de la Sophie de Regula Mühlemann, au timbre délicieusement orné dans les aigus, tout en offrant une belle présence scénique. Tous les seconds rôles sont parfaitement distribués, à l’instar du superlatif Francesco Demuro en chanteur italien ou du solide commissaire de Florent Karrer.

On ne saurait non plus imaginer un Chevalier à la rose réussi sans un chef à la hauteur, ce dont s’acquitte Henrik Nánási : à la tête d’un Orchestre national de France admirable de couleurs (au niveau des vents surtout), le Hongrois se joue des variations d’atmosphère avec un sens des transitions fluide et félin. Du grand art pour cet ouvrage délicieux, que l’on se plait toujours à retrouver, qui plus est dans l’écrin idéal du Théâtre des Champs-Elysées.